Nuit — Emilitia

Le sommeil était chose difficile à trouver pour Nirvana ces derniers jours. Aussi plutôt que de passer une nouvelle nuit à observer le plafond pendant que Puceron et Moustique ronflaient aux côtés de leur mère (à condition que certains ne soient pas occupés à dragouiller quelques solitaires…), la louvette avait préféré une balade nocturne. Ses pas la guidèrent là où quelques mois auparavant elle avait rencontré trois poissons-loups ainsi que l’étrange solitaire… celle qui avait parlé des raeders. Au point de se semer le doute et la crainte et l’esprit de Nirvana.
Holly l’avait trouvé sur la plage… partageait-elle ne serais-ce qu’un peu de sang avec les pirates ? Étais-ce cela qui justifiait sa nature de sirène ? Elle avait besoin d’en apprendre plus. Les Etelkrus n’étant pas particulièrement au point sur le sujet, la disciple de Dairo se mit donc en tête de pister la solitaire, elle qui semblait détenir tant d’informations à ce sujet. L’odeur s’était estompée avec la pluie, sans compter les passages des poissons-loups… pourtant chercher des traces occupa Nirvana. Elle devait s’aventurer en terres solitaires pour espérer croiser la route de l’ailée. Au bout de pas mal de recherches, elle finit par arriver aux côtes de nacre. Au loin se dessinait l’île des pirates.

Les coquillages craquèrent sous les pattes de l’Etelkrus qui observa le sol un instant avant de reprendre sa marche. L’odeur de la marée était forte, lui faisant froncer le museau. Dans l’eau ça sentait beaucoup moins fort…
Puis finalement elle reconnut la silhouette tant cherchée. Relevant le museau, elle s’avança jusqu’à la solitaire ailée et son étrange familier. Le regard de la jeune louve brillait d’assurance, bien plus que lors de leur première rencontre.

« — Je te cherchais. »

Là dans la nuit, la bleue se fondait presque dans le décor, telle une ombre.

« — J’ai besoin d’en savoir plus sur la malédiction des raeders. »

S’il te plaît.

Emilitia

Ses oreilles se redressèrent lorsqu'au dessus du son des vagues, Emilitia entendit des bruits de pas étouffés par le sable allant dans sa direction, suivis d'une voix qui sans être familière, n'était pas inconnue. Se retournant, la louve sombre put découvrir une rencontre passée se diriger vers elle, téméraire, pleine d'assurance. Un fragment de souvenir qui avait changé, l'enfant avait grandie.

« Vraiment ? »

Elle pencha un peu la tête, redressant la queue au dessus d'elle au fur et à mesure que le vent lui apportait l'odeur etelkru de l'autre louve et que celle-ci approchait. Il y avait quelque chose d'assez plaisant de se savoir chercher, indéniablement, ça voulait dire qu'on avait d'une certaine manière marquée un esprit.

«Le premier paiement n'a pourtant jamais été donné. »

Sa voix était neutre, il n'y avait aucun reproche mais c'était un fait. Le pacte n'avait pas été respecté et voici que la jeune louve revenait demander quelque chose. Elle pouvait lui dire, ce que l'Etelkru voulait savoir mais Emilitia n'était pas très assidues, parlant trop facilement, parfois elle se rappelait qu'une information pouvait se payer, surtout si on la cherchait exprès pour.

« Je peux pardonner l'oubli de l'enfant mais c'est une adulte qui est venue cette nuit. »

Elle se rapprocha, d'un pas, de deux, termina d'avaler la distance qui les séparait d'un pas léger et maîtrisé sur le sable -moins que celui d'un Raeders véritable cependant. La noire frôla presque la jeune adulte pour venir désignée d'une patte le glowstick orange tout en gardant une certaine distance, comme s'il aurait pu la brûler.

« Tu en portes le signe de ton camp.
Nous pouvons établir un nouveau marché mais tu as encore la dette du précédent. Tu peux inclure son prix dans la nouvelle proposition. » Elle recule, s’assoit dans le sable. « La malédiction des raeders est un récit que je connais bien, toi qu'as tu à offrir ? »

Les solitaires avaient bonne mémoire. Un sourire vint étirer les babines de Nirvana lorsque le paiement de jadis fut évoqué. C’est vrai qu’elle n’avait pas eu l’occasion de lui donner sa prise à l’époque… La disciple de Dairo ne bougea pas quand la noiraude s’approcha.
Quand sommes-nous réellement adultes, si ce n’est que quand les autres vous désignent comme tel ?
Un ricanement étouffé échappa à Nirvana qui conserva le silence un instant, avant de s’éclipser. Ce n’était ni une grande piteuse, ni une très grande chasseuse, aussi le grand gibier il ne faudrait pas y compter. En revanche un lapin… ça c’était à sa portée. Pour un paiement d’enfant ça devrait suffire non ? Humant les différentes odeurs, la louvette à débusquer une proie à son niveau. Après quelques minutes, elle finit par apercevoir quelques lapins sortis de leurs terriers. Retenant son souffle, elle partit à la chasse, pour finalement revenir auprès de la solitaire, une prise dans la gueule.

« — Je n’aime pas avoir de dettes et je n’avais pas oublié ton paiement. »

Nirvana déposa la proie aux pattes de la louve, son museau à quelques centimètres du sien.
Oui, elle ne doutait pas que cette louve mystérieuse connaissait tant de choses à propos des raeders et de leur malédiction. Une lueur de défi mélangé à de la curiosité brillait dans les yeux de l’Etelkrus qui s’assit à son tour.

« — Et toi, que veux-tu ? »

Emilitia

Elle s'en va, la louve Etelkru, laissant Emilitia seule, sans un mot. La louve noire aurait pu s'en aller mille fois durant ce laps de temps où la tacheté l'avait laissé, elle resta pourtant assise là dans le sable à attendre patiemment, sagement, tuant le temps en laissant Drippir marcher le long de ses doigts et de sa patte. Et elle revint finalement, la louve Etelkru, un lapin entre les crocs pour honorer le paiement passé.
Emilitia se pencha quelques instants vers la proie, semblant juger sa satisfaction envers ce qui venait d'être donné avant d'y laisser Drippir dessus. Emilitia ne mangeait pas beaucoup de lapins, préférant poissons, grenouilles, autres amphibiens et reptiles, appréciant de temps en temps un oiseau. Elle se contenterait pourtant de ce repas facile, l'accord avait été respecté et la vie solitaire ne permettait pas de se montrer trop difficile en hiver.

« Très bien ! »

En réaction à la proximité provocatrice de la jeune louve en face d'elle, Emilitia ne fit que pencher légèrement la tête accompagnant ses mots dans une mimique qu'elle reproduisait souvent. Elle fit mine de réfléchir un peu lorsque l'Etelkru lui demande ce que elle voulait.

« Hé bien...
Drippir de quoi avons nous besoin ? »
« ça dépend de ce que tu comptes faire. »
« Oh je sais ! »
Elle se relève, sa queue haute au dessus de son dos, remuant de son extrémité si ce n'était pas le vent qui l'emportait.
« Je demanderais la promesse d'un service. Oh, rien de bien méchant, il ne faudra pas s'en faire. Aider à trouver un livre -je ne peux pas les manipuler sans les abîmer-, ou un ingrédient que je ne peux obtenir moi même ou être la dernière personne d'une chose qui demandera d'être plusieurs. Ce ne sont que des exemples pour un simple service qui sera demandé en temps voulu. »

Elle tendit une patte vers la louve tachetée.

« Si ça te convient, concluons ce pacte. »

Le paiement était accepté, déjà ça de moins. Nirvana écouta la solitaire parler à son familier sans pouvoir entendre les réponses de ce dernier. C’était quelque peu… frustrant d’ailleurs. À la demande de la noiraude, elle demeura un instant sans réaction. C’était quelque chose de plus matériel qu’une promesse qu’elle aurait souhaité offrir. Sans attendre.
Elle n’aimait pas cette idée.

« — C’est vague. »

La sirène se leva à son tour.

« — Mais je peux y consentir, du moment que cela ne nuit pas à des loups ou des choses auxquels je tiens. »

Ils étaient peu ces loups, les choses également, ce ne serait probablement pas contraignant pour une solitaire.

« — Nous sommes d’accord ? »

Emilitia

« Oh non rien de tout ça ! Du moins pas volontairement. Je serais bien embêté si des loups m'en voulaient pour quelque chose. »

Elle était solitaire, une vie presque imposée qui ne lui déplaisait pourtant pas mais qui avait son lot de défaut. Il n'y aurait personne si quelques mécontents tenaient à s'exprimer, Emilitia n'était pas d'une carrure très costaud.

« Un simple service sans préjudices. »

Immédiat, en théorie.
Sa patte demeurait tendue face à l'Etelkru, elle la laissa encore ainsi, insistante.

« Les termes me conviennent. »

Concluons ce pacte.

Donc rien qui  lui mettrait des loups à dos ? Nirvana fixa la patte tendue un instant, si la louve ne pouvait pas manipuler un livre sans les abîmer, ni d’écorce lors de leur rencontre avec les poissons-loups… imposerait-elle une marque à la louvette ? Peut-être pas, elle ne semblait avoir de mauvaises intentions. La disciple de Dairo serra la patte tendue.

« — Marché conclu. »

Elle rompit le contact, avant de s’asseoir de nouveau.

« — Je t’écoute. »

Dis-moi ce que tu sais.

Emilitia

Elle sera la patte, la jeune Etelkru, ce qui fit sourire Emilitia sous son masque mais ne la garda pas suffisamment longtemps pour imposer la marque, la louve noire ne parvint pas non plus à l'agripper à temps. La demi-démon fut un peu déçue, c'était important que l'accord du pacte soit marqué et ce n'était qu'une légère brûlure. Elle sentit le regard de Drippir, haussa les épaules, reposa la patte près d'elle. Ce n'était de toute façon, que formalité.

« Alooors, tout d'abord, il va falloir me dire ce que tu veux savoir exactement. L'histoire de la malédiction ? Ses origines ? Son rituel ? Ses effets ? Les monstres autour ? C'est assez long à vrai dire. »

Elle se pencha un peu en avant, se rapprochant à nouveau du museau de l'Etelkru dans ce jeu de tension qui s'était installé depuis le début de leur conversation.

« Je peux de garantir que celle m'en parlait m'a tout raconté. »

Si aux derniers mois de sa vie, sa mère s'était grandement éloignée du culte de l'Océan et de la magie qui accompagnait les Raeders depuis leur création, il était aujourd'hui évident pour l'adulte qu'était devenue Emilitia, que la louve blanche avait fait parti des fanatiques dans sa jeunesse.

L’histoire et les origines ça ne revenait pas un peu au même ? Nirvana réfléchit un bref instant. Savoir comment la malédiction était apparue, ce n’était pas ce qui l’intéressait le plus. Un rituel ? Autour de ce genre de malédiction ? Quel genre de fou pouvait bien apprécier de finir sa vie en poiscaille…
La louvette observa avec une expression sûre son interlocutrice.

« — Parles moi de ses effets. »

Ça au moins, ça ne devrait pas être trop long et comme ça elles iraient à l’essentiel.

Emilitia

Emilitia se rassit plus confortablement, reprenant un peu de recul par rapport à la jeune etelkru.

« Oh et bien, même si la malédiction est permanente, les effets ne commencent réellement que vers quatre ans. L'Océan commence à jalouser le Continent et resserrer son emprise, une gêne commence à s'installer quand les pattes sont posées sur le Continent pour être de plus en plus forte jusqu'aux cinq ans. A partir de là, le Continent consument ceux qui sont atteint par la malédiction qui osent s'y aventurer à nouveau, le médaillon de Céto permet de repousser l'échéance à dix ans. Mais c'était déjà  compliqué avec elle il y a quelques années, j'ignore où ils en sont maintenant. »

Les Raeders ne devaient-ils pas entrer en opposition à la Murène ? Emilitia n'aurait pas laissé sa magie opérée si on avait essayé d'agir contre elle, mais tout ce qui concernait les Raeders après son départ lui était inconnu.

« La malédiction éloigne du Continent mais rapproche de l'Océan, à huit ans, il y a la mutation. Les loups obtiennent la capacité de respirer sous loup et leur corps se transforme petit à petit pour mieux correspondre à ce milieu. C'est aspect de la malédiction plutôt apprécié chez les Raeders mais ça ne m'aurait pas plu. »

Elle était contente que son sang de démon ait surpassé cet héritage.

Quatre ans. Un frisson parcourut le corps de Nirvana. C’était si court. Maman lui avait assuré qu’elle n'était pas une raeder… mais si elle s’était trompée ? C’était sur la plage qu’elle avait été trouvée. Elle se transformait en poisson au contact de l’eau… bien avant les effets de la possible malédiction.
Mais quelqu’un de chez eux se serait plein de la disparition d’un enfant depuis le temps.

« — Certains peuvent-ils se transformer dès la naissance ? »

La disciple de Dairo marqua une brève pause.

« — Comment ça se fait que tu en saches autant sur le sujet ? »

Emilitia

Elle prit le temps de réfléchir, creusant dans sa mémoire.

« Il y a des Raeders qui ont toujours eu des attributs aquatiques mais je ne pense pas que ça soit lié, je sais que que certains ne viennent pas du Continent initialement. La Malédiction est sans doute une façon un peu brutal de fidéliser à l'Océan des êtres qui n'y sont pas liés à l'origine. »

Elle redressa les oreilles, un peu surprise de la question suivante bien qu'il n'était pas si étonnant de l'entendre être poser.

« Oh ! Ma mère était Capitaine des Raeders. »

Et elle, l'avait été durant sa première année.
Emilitia remua un peu des épaules, narquoise derrière son masque.

« Et toi, pourquoi s’intéresser autant à ce sujet ? Peu satisfaite des Etelkrus ? »

Des attributs aquatiques ? Du genre les pattes palmées ou de petits nageoires ? Ça devait être un peu le défilé des attributs bizarroïdes chez les raeders.
La noiraude révéla être l’enfant d’un ancien capitaine, ce qui ne fit ni chaud ni froid à Nirvana. Les raeders ne pointaient que très rarement leur truffe jusqu’ici, ils étaient quasiment inexistants.

« — Je vois. »

À chaque explication, la solitaire faisait taire les doutes de Nirvana.
Les sourcils se froncent à la question, elle se sent indignée qu’on ose sous-entendre cela. Trahir les Etelkrus pour…

« — Ma meute me convient parfaitement ! Ce n’est pas tout le monde qui a ce genre d’informations, mieux vaut en savoir le plus possible. Au cas où. »

Après une minute de silence, la disciple de Dairo se rendit compte qu’elle ne connaissait toujours pas le nom de son interlocutrice.

« — Je m’appelle Nirvana et toi ? »

Emilitia

Si la vivacité dans la réponse amusa Emilitia, elle se contenta de simplement hausser les épaules à la remarque, moyennement convaincue de l'argument donné.
Au cas où n'est-ce pas ?

« C'est tout de même assez spécifique. Mais en soit, il n'y a pas à s'inquiéter, la malédiction ne se transmet pas si facilement. On l'obtient soit via une source maudite sur Morne-oeil, soit pas le sang, un maudit pourra te baver dessus autant qu'il veut, ça ne fera rien. »

Ce n'était pas comme une maladie. Au cas où, l'etelkru n'avait pas vraiment à s'en faire, la malédiction concernait surtout ceux qui en étaient déjà atteint.

« Emilitia. »

En réponse au nom demandé.

Se faire baver dessus par un maudit… parfaitement immonde. Les raeders n’avaient pas l’air de grands combattants selon les histoires qui se racontaient chez les Etelkrus, donc ne représentaient pas une grande menace. Surtout si leur île faisait office de prison.
Donc en cas d’affrontement avec un raeder en dehors de l’île, si on lui arrache son médaillon, ce sera bien plus efficace que n’importe quelle attaque.
Nirvana sembla comme perdue dans ses pensées un instant, avant de reprendre ses esprits quand la noiraude lui donna son nom. Emilitia.

« — Merci. »

Pour toutes ces informations. Nirvana se releva.

« — Fais-moi signe, quand tu auras besoin que je te rende ton service, Emilitia. Je viens fréquemment ici. »

Mais ne tardes pas trop, fille de capitaine.
La louvette se secoua pour chasser le sable de son pelage avant d’entamer le chemin du retour.

Emilitia

« Je n'y manquerais pas. »

Emilitia regarda l'etelkru repartir avant de s'étirer une fois qu'elle fut avaler par la nuit, s'ébrouant également avant d'elle aussi prendre un chemin pour quitter cet endroit sans avoir cependant de but précis. La nuit était loin d'atteindre sa fin et qui sait où les pas mèneront demain.