Loin de chez soi · Agathe

J'avais été prise de bougeotte, ce matin...
Alors, je me suis levée et je me suis mise à marcher, sans savoir où mes pattes avaient envie de me mener.
Durant mes voyages... Ce n'était pas la destination, qui m'avait importé, c'était le trajet. C'était une sensation grisante, de découvrir une nouvelle chose à chaque fois, d'être envahie par l'excitation et l'enthousiasme de la découverte et de ce qu'on trouverait au bout de ce chemin (une fois au bout, alors, l'excitation et l'enthousiasme disparaissait, le mystère cessant d'être). Ça n'm'avait pas reprit depuis longtemps, puisque j'avais cessé de voyager depuis un moment déjà alors...
Alors ça faisait du bien, aujourd'hui, de sentir cette énergie circuler en moi et me guider.

Ça faisait plus de bien que ce rêve, ces rêves, faits il y a deux nuits de ça.

Leur simple souvenir fait grincer mes dents et rougir mes joues. J'voulais pas m'en rappeler, tant c'était gênant. Tant j'avais pas compris d'où sortait le bonzaï de pin maritime blanc et le banjo et l'accessoire pas à moi, aussi.
J'kiffais pas l'idée que quelqu'un ai pu rentrer dans ma grotte, durant la nuit, pour m'regarder dormir et poser tout ce bordel.
Et faire en sorte, en plus, que ces objets me rappellent les deux mâles de mes rêves (littéralement, parce qu'à choisir, j'aurais pas rêvé d'eux).
Si ça s'trouve, même, j'avais été ensorcelé. Une blague faite par une entité magique. La merde, si c'était ça.
J'soupire, je secoue la tête.
J'veux oublier.
O u b l i e r.
Et c'est à la lagune du crépuscule que je me retrouve.

C'est un endroit face à la mer et bordé de cailloux. Un endroit que je trouve beau et où je me plais à regarder le soleil se coucher, parfois.
Un endroit... Un endroit où se trouve Lùgh.
Cette bougeotte qui m'avait mené jusqu'ici...
C'était un maléfice, ça aussi ?
Une coïncidence un peu trop forte, qui me fait observer vivement les environs, me retourner, lever la tête, en quête d'une bestiole venue pour se foutre de notre gueule. Ne trouvant rien... C'est lui, que je regarda.
Lùgh, trop fragile et gentil, contre qui je n'avais rien mais que je n'aurais, disons, pas eu envie de revoir tout de suite.

Ma gueule s'entrouvre, toute sèche.
Je sens la chaleur de la honte gagner mon visage.

« ...C'qui s'est passé dans le rêve, reste dans le rêve. »

Mon coco, on allait direct' poser les bases.

D'un point de vue extérieur, cette scène aurait été des plus louches. Avec lui et moi qui bafouillaient, lui et moi aussi rouges que des tomates bien mûres en plein cagnard... Je pris une profond inspiration et souffla, soulagée déjà de voir qu'il ne s'était pas imaginé des trucs entre nous. Car si je me savais capable d'un soupçon de sympathie pour lui, du moins, d'une neutralité parfaite qui prenait des airs d'amitié au vu de mes relations tumultueuses (...) avec les trois-quart des gens (détestables) d'ici, n'en restait pas moins que c'est pas pour une p'tite chose pareil que j'aurais éprouvé le grand amour du rêve, qu'on soit bien clair là-dessus.

« C'est ça, pas totalement nous. »

Des nous complètement désinhibés, incapable de cacher c'qu'on refoulait dans la réalité. Pire que des nous sous emprise d'une bouteille d'alcool "thérapeutique" ou d'une herbe quelconque. Je m'étais un peu trop ouverte, dans le rêve, quelque chose que j'aurais jamais fais là. Je le faisais déjà pas avec ma propre famille, loups qui pourtant se voulaient être au plus proche de ma personne et en qui j'avais le plus confiance, alors avec un p'tit gus comme ça...
A sa demande, je roule des yeux.

« J'suis pas une balance. Et puis... »
Si le début de la phrase fut dite sèchement, la fin reste en suspend, comme le sont mes yeux résolument tournés vers le haut.
Je repense à ce qu'il m'a dit, dans le rêve.
« Et puis y avait rien dont tu puisses avoir honte, de toute façon, puisqu'on peut pas se blâmer d'avoir été entouré de cons durant son enfance. Faut parfois attendre longtemps, avant de tomber sur les personnes qui sont bonnes pour nous. »

Claro, c'est ce que j'avais surtout retenu. Une intolérance de la part de tocards, qui l'avaient gardés à l'écart.
Mes épaules s'affaissent, je pose mon cul par terre en grommelant, plus pour la forme que pour paraitre véritablement hostile. Je me détends, essaye même l'autodérision :

« Bon, et puisque je t'y ai révélé que je savais pas faire grand chose de mes pattes... Les appeaux, tu sais vraiment les réaliser ? »

C'que ça m'intéressait vraiment, ces p'tites choses là.

Il bafouille, il fait des p'tits bruits.
J'sais pas trop comment interpréter ça, j'ai juste l'impression qu'il est un peu plus paumé que d'habitude et ça me fait soupirer. Pas que je sois agacée (pour une fois), plutôt un peu lasse, ou ennuyée, ou un mélange de tout ça. Quoi qu'il en soit, il sembla reprendre finalement ses esprits, et il finit par me répondre.
Je hausse les épaules. Et je retiens un second soupire, qui gonfla mes joues mais s'évapora en une expiration modérée.

« P't'être. »

Quand bien même ça dépendant plus de ma tête que de mes pattes, c'que tu venais de citer. Mais bon, j'avais pas trop la foi de m'étendre sur ce sujet, pas forcément des plus à l'aise quand il fallait évoquer mes maigres compétences et la difficulté que j'éprouvais à m'améliorer, même quand je faisais tous les efforts du monde.
C'était comme ça.
Le sujet fut vite évincé au profit de quelque chose de plus agréable, à savoir les appeaux. Non pas que je voulais vraiment rendre ce moment plus agréable, j'en avais un peu rien à foutre.
Mais quitte à avoir vécu ce rêve, autant en tirer quelque chose de positif, quoi...

« J'veux bien essayer, ouais. En contrepartie, je pourrais te donner les pierres que tu veux, pour tes rituels, ou bien autre chose. »

C'était dans ma mentalité, de faire donnant-donnant. Si il s'investissait auprès de moi, alors, j'en ferais de même.

« On verra bien, s'il m'faut encore trois essais pour y parvenir. »

Je m'esclaffe brièvement, dans une auto-dérision assumée qui me permettait de ne pas me laisser abattre par les échecs affichés devant d'autres.

Je l'écoute m'expliquer qu'il n'explique pas très bien, un sourcil haussé face à lui. Il était évident que le rêve avait altéré nos personnalités (parce que jamais d'ma vie je sortirais ni même ne tomberais amoureuse d'une p'tite chose comme ça), et qu'il n'aurait donc pas les mêmes capacités. Mais puisque c'était visiblement se dispenser de mots pour préférer montrer...
Mes épaules se haussèrent.

« Ça sera même mieux que les mots. Plus c'est simples, mieux ce sera. »

Parce que s'il explique mal, moi, j'comprends pas grand chose. J'ai pas 3ING (j'en ai à peine 1 et c'est un miracle), et effectuer une tâche manuelle avec des explications orales, c'était beaucoup plus difficile que si on me montrait directement. C'est pas pour rien, que je perdais jamais de temps à la bibliothèque : réussir quelque chose à partir d'une lecture, c'était pas trop dans mes capacités et, accessoirement, ça me faisait aussi chié.
Alors, avec ses mots simples, loin des phrasés pompeux de certains, et ses démonstrations, j'étais un peu plus certaine de m'en sortir.
Ceci convenu, je tendis une patte vers lui.

« Marché conclu, donc. »

Je dois bien avouer que j'étais un peu impatiente, d'apprendre à confectionner ces appeaux. Et Lùgh ne me paraissait plus seulement gentillet : il prenait quelques airs intéressants, c'vagabond breton.

Ma patte reste en suspend et c'est assez désagréable, de se faire ghost ainsi.
Je le regarde se morfondre, se ratatiner sur lui-même. Une gélatine que le soleil aurait soudain fait couler. Mes sourcils se haussent, juste avant qu'ils ne se froncent, dubitative devant ce brusque changement d'état. Et alors que je veux lui demander pourquoi il ne peut pas, plutôt ne doit pas me toucher...
Il inspire, s'explique.
Ted a partagé quelques informations et je fronce le museau, pas fan à l'idée qu'il en parlait autour de lui. J'n'en parlais, moi-même, qu'à mes plus proches contacts. A ceux en qui j'avais pleinement confiance.
Sakura le savait. Et voilà.
J'repose ma patte au sol et je souffle par le museau, un peu bruyamment.
Contrariée, à moitié.

« J'ai autant de chance de caner en restant à tes côtés qu'au travers d'un contact. La malédiction de la Licorne touche mes sœurs et moi-même de façon différente. Moi, à partir du moment où je suis à proximité, ma responsabilité est engagée. »

C'était donc trop tard, pour s'inquiéter de ça. Même si de le savoir frappé de malchance ne me rassurait pas.
Au fond, à partir du moment où je l'avais croisé pour la première fois, couturé de plaies au possible, je l'avais su.
Qu'il représentait un danger, pour moi, à s'foutre dans des situations visiblement dangereuses. On pouvait s'blesser, un peu. Mais jamais à ce point.

« J'suis pas du genre à entraver ma liberté, et pour une fois qu'veux apprendre quelque chose... C'pas ce risque qui m'effraie le plus. Et toi ? »

On n'se fréquenterait pas tout le temps (ce n'est pas quelque chose que j'aurais supporté, ça), ça n'serait que l'histoire d'un moment et basta. Si j'étais prête à courir le risque, je ne le forcerais pas à poursuivre cet engagement.

Ainsi, plus que d'avoir parlé de nos malédictions, Ted avait beaucoup fait pour lui.
Tiens donc.
Si je n'étais pas une pro' des relations amoureuses, ma malédiction compliquant grandement ma volonté de m'investir dans une histoire quelconque, je n'étais pas conne pour autant. Y avait anguille sous roche, en y pensant bien le frérot n'aurait pas raconté à n'importe qui ce qui faisaient notre faiblesse, à Prudy, Onyx et moi-même.

« 'k j'comprends, c'est tout à ton honneur. »

J'étais lourdement attachée à ma famille, même si je le montrais pas trop. C'était incontestablement eux, que j'appréciais le plus, et en qui j'avais entièrement confiance. Avec Sakura, aussi, et Cloud dans une moindre mesure.
Alors qu'il ne veille pas blesser le p'tit frère, ça me faisait plaisir, j'avoue.

« Tant mieux alors. Et ouais, on aura qu'à se rejoindre dans un endroit sécure. Au refuge, par exemple. »

C'était bien, ça, le refuge. y avait aucune raison pour que ça se passe mal, là-bas.
Piquée par la curiosité, mes billes émeraudes s'affutent et se reposent sur lui, à demi-plissées.

« Mais dit-moi, il se passe un truc entre mon frère et toi ? »

Promit, je ne dirais rien à mon père.

« Mouais. »

C'est tout ce que je trouve à dire, à son déluge de parole. A son Rien ! qui suffisait à faire naitre la suspicion d'une..allez, disons le ! relation. A ce qu'il tentait de justifier, à m'en mettre un peu plus la puce à l'oreille. Deux fois en quatre jours, ça me paraissait être beaucoup. Mes plus proches amies (enfin...ma, certes), si je la voyais une fois par mois c'était déjà pas mal.
Le regard ne décrochant pas de ce p'tit gus qui se perdait en une flopée de mots, passant de l’aigüe à l'accéléré puis de l'accéléré au murmure, enfin du murmure à un timbre un peu plus normal... Je n'pouvais que m'imaginer davantage de trucs, maint'nant.
Enfin, pas trop non plus, hein.
Ça restait mon p'tit frère, Ted, c'était Junior quoi.
Et il avait fait visiblement beaucoup pour ce blanc-bec.

Me levant de ma position, j'allais jusqu'à me permettre un p'tit tapotement de ma patte sur son épaule.

« J'insisterais pas davantage, t'as de la chance. Et je suis plutôt contente d'apprendre que Ted s'est fait un ami et que je regagne donc ma place d'asociale de la mifa. »

Mon museau se fronce et je prends l'air que peut perçoive. Un peu plus taquine, moins sur l'offensive

« Fait quand même gaffe. Si ça tombe dans l'oreille de mon père ou de ma sœur, Onyx... Ça sera pas la même histoire. »

Claro, eux ils insisteraient jusqu'à ce qu'ils admettent non pas qu'ils sortaient ensemble, mais quand est-ce qu'ils leurs feraient des petits-enfants/neveux. Ouep'. Valait mieux qu'il s'épargne de ça, l'ami du frangin.
Faisant rouler mes épaules pour mieux dérouler les muscles de mon dos, je poussa un soupir long.

« Bon, et je vais me rentrer. On s'dit à demain, pour l'apprentissage..? »

Chaude pour commencer au plus tôt, sinon j'allais laisser trainer ça et j'mourrais avant d'avoir développer le pois-chiche qui me servait de cerveau.
Triste fin, en somme.

A ce qu'il ajoute, mes joues se gonflent avant qu'un pouffement étouffé ne rejette l'air emmagasiné par mon nez en un souffle bruyant, et que mes yeux empruntent un air rieur.

« T'as même pas idée. »

Ça serait la fin des haricots, à ce stade. Vraiment : je voyais clairement mon père préparer de quoi accueillir des p'tits enfants qui ne seraient, pour lui, plus de l'ordre du potentiel mais du à venir sous peu.
Quoi qu'il en soit, le jeune mâle obtempéra et je souris en retour.
C'est opé pour demain, il rapporterait ce qu'il faut.
Un dernier signe de la tête en guise de salutations, puis je traça ma route.