Pas toi! (Agathe)

J'avais presque oublié, la seconde partie de ce putain de rêve.
Si la première m'avait amené à revoir Lùgh au plus vite, pour l'intensité et les secrets révélés lors de notre vie à deux... J'avais longtemps omit qu'il n'y avait pas eu que lui. Que j'avais partagé une autre histoire, avec bien des déboires. En parlant de boire... Il y avait eu de ça, ouais, aussi.
J'avais presque oublié et pourtant, j'allais m'en rappeler de façon brutale et soudaine.

Qui, pour s'attendre à être réveillé de la sorte, hein ?

Endormie dans mon antre, à peine perturbée par un rêve aussi bateau qu'irrationnel, c'est en me retournant au cours de mon sommeil que mon dos se heurta contre quelque chose de chaud et de lisse. Quelque chose qui ne m'évoquait pas la pierre fraiche et sèche de ma taverne, davantage...
C'est mon cœur qui bondit avant d'emprunter un tempo rapide, et mes yeux qui s'ouvrent en grand.
Un corps ?!
C'est un gus qui s'accapare mon champ de vision et masque la vue dégagée que m'offre d'habitude mon antre sur les cimes des arbres qui bordent le gouffre. Quelqu'un qui est là.
Posé dans mon lit.
Chez moi.

Ma réaction est pareille à mon réveil.
Brutale et soudaine.
Ce sont mes poumons qui se gonflent, d'une grande inspiration, et puis-

« mais qu'est-ce qu'il FOU CHEZ MOI C'CONNARD DÉGAGE DE LA TOI »

Et puis mon épaule rentre brusquement en contact avec lui, pour le pousser vers l'avant après lui avoir hurlé dessus, et le presser un peu plus vers la sortie.

« C'REVE DE MERDE TE DONNE PAS LE DROIT DE TE POINTER COMME CA CHEZ MOI ! »

Il me foutait vénère pour la journée entière.
Direct.
On allait sérieusement en découdre, lui et moi.

Je croise son regard de merlan frit et ça me fait d'autant plus monter en pression. Genre, c'est lui qui allait être surpris de me trouver là ?! Mes babines se retroussent et j'affiche mes crocs, furibonde de cette présence dégueulasse dans mon pieu.
Il se relève, mais il semble pas prêt à dégager celui-là.
Pire que ça !
Faut qu'il en rajoute. C'qu'il me traitait de grosse là ?!
Le torse bombé je le toise, me ravançant vers cette petite merde qui semblait prêt à se taper le squatt.

« Pardon ?! Mais tu t'es regardé sérieux, avec ta gueule de fracassé, tes tatouages dégueulasses et ton odeur de crevette ?
Putain de déchet des plages, j't'ai pas invité j'te signale. »

Et si il continuait à rester ici, je serais bonne à tout foutre au feu si j'voulais pas avoir à sentir chaque jour la marée qu'il dégageait.
Déjà le pieu, c'est clair que c'est là-bas qu'il finirait, tellement qu'il me dégoutait.
Le simple fait d'avoir rêvé que mon pelage se collait à sa peau lisse me donnait envie de gerber.
Les traits crispés, les dents toujours affichées et la tête un peu baissée pour faire briller mes cornes, je cracha à nouveau mon fiel :

« Retourne dans ta mer, tu connais le chemin nan ?! »

Il avait de la chance que Sang de licorne, jamais je ne cogne.

Il avait de la chance, que sang de licorne jamais je ne cogne.
...
Et pourtant
pourtant
Je le trouvais sévèrement dégueulasse, ce mec. Ouais. Il me dégoutait, et ça dépassait de beaucoup le simple stade du physique. Avec ses mots grivois, son frisson qui m’écœura, cette façon de passer sa langue sur ses babines. Il était sale, tout dans son attitude me dérangeait.
Le grondement devient guttural et se transforme en un murmure amer.

« Putain, 'va juste crever. »

Ça déclenchait la nausée au fond de ma gorge, j'aurais pu lui gerber dessus si c'est pas mes cornes que j'envoya en premier, sur lui.
A partir de maintenant, c'était plus juste une menace.
Le cœur un peu battant, les crocs serrés, n'sachant même pas bien comment m'y prendre, c'est bien ça que je fis, ouais. J'peinais un peu à le réaliser encore. Je les avais jamais utilisé, mes cornes, moi, juste exposées. Et là... J'voulais le frapper, plus que le planter. J'voulais l'éloigner, qu'il cesse d'ainsi souiller mon sol et mes oreilles.
C'est pas quelque chose de plaisant, et sans doute que je le regretterais illico'. Ça créait déjà une tension lourde en moi, persistante, comme si mon sang devenait plomb parce que je n'avais pas le droit, de faire ça.
C'était prohibé par mon éducation. C'était interdit par mes gênes.
C'était prendre le risque de crever aujourd'hui.
Mais...
Mais j'voulais juste le repousser, lui envoyer une patate qui l'inciterait un peu plus à dégager
Par ce que...
J'avais plus envie d'déconner, ou de perdre mon temps avec ce gars ignoble.
Il était malsain, carrément malsain. Et moi j'étais en colère, vraiment en colère.

C'est une seconde où mon sang-chaud gagne et où je cogne.

En plus de râler, tu sais blesser.
C'est faux. C'est la première fois, que je fais ça. La première fois, que je blesse. Alors non. Non, je ne sais pas blesser. Tant et si bien que je sens encore la vibration provoquée par le choc, celle qui passa au travers de son corps pour s'insinuer dans mes cornes et faire trembler ma tête, alors que j'avais été jusqu'à le plaqué contre le mur. C'est une sensation désagréable, elle me donne mal au crâne.
Et même ainsi shooté, faut qu'il continue.
Qu'il m'insulte, me menace, me rappelle ce rêve de merde.

J'en pouvais plus, de cet enfoiré.

Il est pourtant incapable de se rebiffer, j'ai l'impression de pouvoir le soulever sans problème, lui et son corps de poiscaille.

J'en pouvais plus, de cet enculé.

Malsain, obscène, dépourvu de tout soupçon d'intelligence. Un étron fait vivant, à la beauté absente tant dans le physique que dans la tête. S'il aurait pué la merde plutôt que la mer, j'aurais pas su faire la différence.
J'lui ai dit de dégager,
cet enfoiré, cet enculé,
J'lui ai dit de dégager mais c'est à moi qu'il le dit, maintenant.
Enfoiré, enculé...
...
Connard, connard, connard.
Comme ce Nakhus, il en était un lui aussi. Un vrai, un grand, un de compétition. Un qui couvre sa race entière de toute ma répugnance. Les Etelkrus sont des fachos, les Nakhus des culs-bénits hypocrites. Les Raeders, ah ! Je les découvrais soudain comme étant des sous-merdes, squatteurs et provocateurs. Et dire que les Nakhus avaient pris ça comme alliés, qu'ils avaient virés les solitaires pour garder des connards pareils auprès d'eux.
Qui se rassemblent, s'assemblent ! Non ?!
Ils avaient peut être commandités leurs grands potes pour nous faire dégager, nous qui tant les dérangeaient.
Ma salive est amère et mes yeux sont aussi troubles qu'humides.

J'en pouvais plus...

De ces mâles dégueulasses, de ces clans merdiques, de ces dieux irritants. Je m'étais retenu tant d'années, essayant de m'acclimater à ces terres, contenant la haine qui devint rage et qui vint poignarder mon cœur.
Et lui, lui, il rassemblait tout ce que je détestais le plus. Et il continuait, et il voulait me faire partir de chez moi, là où j'avais fais ma place au milieu de ce continent où j'avais peu ma place.

J'en pouvais plus.

Et je baisse la tête, et j'envoie mes cornes. Encore.
Sang de licorne, jamais je ne cogne.
...
Je ne fais plus que cogner.

« C'est toi... TOI, QUI EST CHEZ MOI. »

- Agathe pourfend de ses cornes, PC FOR:3 -

Elles transpercent.

Elles transpercent et le sang coule.
C'est la première fois, qu'il coule devant moi. A cause de moi.
La chaleur d'un corps palpitant se répand autour de ma corne frontale, et mon être entier se révulse de ce qu'il a commit. Un sursaut de dégout hausse mes épaules, me fait froncer les babines et entrouvrir la gueule, alors que mes yeux se floutent et qu'enfin, enfin, je recule ma tête pour laisser retomber au sol celui qui ne fut capable de rien, rien d'autre que trois cheveux dans la gueule.
Il git là, pathétique.
Me dégoûte un peu plus, à répandre ainsi son sang chez moi.
Son odeur est insupportable.
Je crache à côté de lui. Ou sur sa gueule.
J'ai plus de considération pour mon sol que pour sa gueule.
Sans doute sur sa gueule.

C'est flou. Devant mes yeux et dans ma tête.
Je vois rouge.

Mes billes émeraudes se plissent, mes esprits peinent à revenir. Y a qu'en automne, que je peux les voir : sans doute y aurait-je trouver le mien, aussi. Dans une inspiration fébrile, dans une vue que je passe aux alentours, je crois que la colère s'estompe soudain pour laisser place
A la lassitude ?
Putain.
J'en peux plus.

De ces vivants. Il a gagné, je ne peux plus rester chez moi.
De ces presques-morts. Qu'il crève, j'en ai rien à foutre de partir aussi. A quoi bon ?
Des morts. Ils reviendront.

Et alors qu'un vide immense se crée de ma poitrine à ma tête, m'englobant tout entière, je me détourne de ce qui fut mon logis, là où j'avais enfin réussi à me sentir bien mais où on vint tout gâcher.
Mes yeux sont éteints, mon sourire a disparu. Je me dis à quoi bon.
Sans précipitation ni un regard en arrière, ne pouvait en avoir quelque chose à foutre des conséquences puisque n'ayant plus envie de rester dans ce monde inadapté, je m'en alla trouver ce pour quoi je vouerais bien encore un peu d'intérêt.
A temps perdu.
Je ferais du terrier mon dernier domaine.