Ombre sans Lumière

Ombre sans Lumière

https://www.youtube.com/watch?v=pSEGzrwO7-I

Les matins s’étaient fait plus frais en cette période de l’année. Les premières gelées ne tarderaient pas à s’emparer des terres. Tandis que le froid traversait sa silhouette famélique, de son corps encore chaud s’échappaient quelques volutes de fumée blanche. D’un pas lent, il s’avançait vers le nord. Regardant autour de lui brièvement, il ne parvint à se remémorer la vie passée ici, ses jeunes années en hiver, sa rencontre avec son père, celle avec Yersine qui l’avait sauvé de lui-même. Mais c’était un passé si lointain qu’il n’existait de trace que couché sur le papier. Parfois, lorsque la brume s’emparait des terres au matin, il y songeait, un élan de lucidité fugace qu’il ne parvenait plus à identifié comme faisant parti de lui.


Pendant des années, il n’avait été plus qu’une ombre, l’ombre de ce qu’il était, l’ombre de ce qu’il aurait souhaité être, Un bon père, un amour irréprochable, un chef dévoué, un sauveur. Tout au contraire, il s’était effacé, retiré de la vie animée des Nakhus. S’était fait des plus discrets, n’apparaissant plus que brièvement en public. Nombreux vices ainsi il avait dissimulé. Nombreuses de ses faiblesses et ses mensonges, s’était mué en agressivité, ses tourments en refus d’obtempérer lorsque l’on en venait à s’intéresser un peu trop à lui. N’était-il capable de s’occuper de lui-même sans l’aide de personne ? N’était-ce mieux ainsi, puisque personne n’avait réellement besoin de lui.


Sur les pages brunies de son journal, il avait tracé à l’encre noir tout ses savoirs, tous ses regrets. Et parfois des mémoires quelque peu personnelle, ne s’adressant qu’à lui-même, tenant plus lieu de mémorial que de recueils scientifiques. Il avait cherché le savoir quel-qu’en soit le prix, pour finalement y renoncer totalement. Ne laissant à ses enfants que quelques mots couchés sur des pages chiffonnées. Sans un mot, il était parti ce matin, n’avait daigné dissimuler ses pas et ses empreintes. Peut-être même n’y avait même pas songé. Au nord, il était allé se perdre de nouveau comme au commencement. Sans vraiment savoir pourquoi le froid le faisait se sentir plus vivant. Des réminiscence de ses jeunes années, des traces de sensation ancrée plus dans son corps que dans son esprit torturé.

De nombreuses morts et disparition, son chemin s’était pavé, n’était-il pas responsable d’avoir conduit quelques âmes vers une fin précipitée. Que ce soit par les actes ou bien son inaction. Combien ses actes pouvaient-il peser dans la balance ? Combien d’âme sauvée pour toute celles qu’il avait perdu.

Son amour, ses pères, ses mentors, ses amis, bientôt ses enfants peut-être. Tout ses souvenirs, n’étaient que fragments. Était-ce plus douloureux d’oublier ses proches ou bien de perdre ses compétences et son savoir. Il ne savait pas. Il ne savait plus. Tout semblait si flou à présent. Il ne serait plus jamais le même et jamais plus il ne serait.

Constater ses défaillances, la brume qui avait peu à peu envahi son esprit, était un poids supplémentaire sur ses épaules, un poids qui le terrifiait.

S’il existait encore un souhait dans son esprit, celui de se retrouver à ses côtés. Il n’existait qu’une certitude. Il savait qu’ils seraient toujours séparé, lui était fils de l’hiver, elle renaissait à la venu du printemps, tout comme le jardin dans lequel il l’avait suivi. Ils étaient condamné à ne jamais plus se recroiser car les fleurs ne naissent pas en hiver, pas ici. Pourtant, il avait promis, un jour, il reviendrait ici. Se perdre au nord, plus au nord encore. Jusqu’à ce que son corps se prenne dans la glace et que son cœur gèle.

Il savait. Lorsque qu’il quitta l’île. Il avait été averti, mis en garde, s’y était préparé quelques temps. L’âge avait rattrapé le père, le piégeant dans une tourmente bien compréhensible.

Le départ était évident et inévitable, n’aurait tenu qu’à quelques jours, quelques instants. Et même s’il s’était fait dans l’intimité des glaces, tel qu’avait été son choix, l’un des fils voulait rendre un hommage à celui qui les avaient guidé jusqu’ici. Plus qu’une tradition, la volonté d’être présent à ses côtés, le temps d’un au revoir. Alors il s’était mis en marche, ses pas s’étaient mêlé au sien avant de croiser ceux reconnaissable de l’adelphe. Leur empreinte, se confondent alors dans le chemin emprunté. Jusqu’à la dépouille prisonnière du glacier.

Présent sans être là, pleurant la perte et la détresse devant une coquille vide. Il se fige face à lui. S’immobilise à quelques pas avant de lever les yeux.




Le corbeau baisse la tête, pointe du museau le frère sanglotant dans la fourrure cendrée. Comme une promesse silencieux. Des instants où tout se jouent sans le moindre mot. Ces moments où l’on se comprend sans devoir pointer du doigt l’évidence.

Il était nécromant ce qui signifiait ne pas partager la perte et le deuil. Pourtant ce n’était synonyme d’abandon. S’il était vrai qu’ils portaient chacun leur part d’ombre dans le cœur, ils n’étaient pour autant imperméable aux sentiments et aux évènements. Si le départ n’était une fin, mais un renouveau, il se devait peut-être de s’expliquer, d’apporter de la clarté. Portée une lueur d’espoir.

Comment expliquer la Dualité ? Les points de vue qui s’opposent quand on ne sait faire de poésies, se perdre dans la fantaisie. Lorsque l’on se reconnaît plus pragmatique et peu sensible à la détresse d’autrui. Chercher des excuses peut-être pour ne pas perdre de la face après les mauvais comportements passés et les caprices. Devait-il se perdre en mot ? Ou se dévoiler en geste ?

Il dépose la lanterne à ses côtés où chancelle la chandelle allumée pour l’occasion. Celle-là même qui éclairait ses pas au travers du brouillard.

Il glisse la cape en couverture sur les épaules de celui qui semble vouloir s’endormir au côté de la dépouille du père. Il s’agit de celle-ci offerte des années plus tôt celle qui du froid protège.. Le borde, comme l’aurait fait les parents avant de se ranger à ses côtés. Il pouvait veiller aussi, demeurer à ses côtés pour veiller la dépouille jusqu’à ce qu’il se lasse ou bien que la neige l’emporte plus profondément dans ses glaces. Ses plumes se couvrent de flocons, mouchetures claires sur l’ébène de ses plumes. Il n’a pas froid. Ne relâche son étreinte. Ferme ses yeux à ses côtés.

Immobile. Le froid envahissait ses bronches, paralysait ses sinus. Les paupières givrées et les cils gelés. Il ne pleure pas pourtant contrairement à l’adelphe qui semble se lamenter du sort des simples mortels de ce monde. Qui semble ne pas se remettre de l’inévitable.

Alors qu’il se tient inerte, dans l’attente, les yeux clos, il sent la masse bouger sous lui. Alors il ouvre difficilement les yeux. Interroge du regard le fantôme du père encore présent. Regrette de n’entendre le souffle qui se confond en mots et en parole. Celui là même qui fait demi tour pour se poster plus prêt de ses fils.

Il n’y avait jamais songé, n’avait cherché réponse à cette question auparavant, avant aujourd’hui. Alors que son frère s’interroge, lui , sans vraiment s’adresser à lui, il y pense pourtant désormais. Que faire lorsqu’on devient spectre à son tour ? Il ne sait pas vraiment, quelle voie lui serait ouverte, quelle voie lui serait close. Poursuivre Père et Mère, parcourir terre et mer, seul. Toujours seul. Peut-être enfin seul. Non jamais. Il chasse cette idée.

Du museau, il vient chercher celui de son frère, le soulève du bout du nez afin de le redresser tout à la sa hauteur. Fait fondre d’un souffle chaud les larmes afin qu’il le regarde enfin, afin qu’il puisse lire sur ses lèvres, juger de franchise qui pour une fois l’habite, lui qui d’habitude se faisait habile de farces et de détours. Aujourd’hui nul sort, seulement une promesse.

« Même mort, je marcherai dans tes pas. Et je resterai à tes côtés, je ne partirai alors que lorsque tu n’auras plus besoin de moi, alors seulement j’irai au-delà rejoindre Père et Mère ou bien explorer Terre et Mer si le cœur m'en dit.  Si tant est que nous ne l’avons fait ensemble ce voyage. »

Son choix, sa volonté, son désir.


Les aigrettes se redressent vers le blizzard, indique une direction.

« Père n’est pas encore parti, tu sais. Je crois qu’il attends que nous lui disions au revoir ensemble, il peut prend le temps qu’il faudra, le temps dont tu as besoin aussi, mais je pense qu’il a hâte de reprendre son voyage. Il est attendu ailleurs, je suppose. »

Faire naître l’espoir peut-être. Illuminer son chemin.

La torpeur et l’engourdissement du froid est lourd à porter. Son frère peinait à travers le givre qui couvrait son visage. Assommé, endormi peut-être. Lucian pouvait s’y attendre, pourtant il n’était seul et même s’il mis un temps avant de s’en rendre compte, c’est la surprise qui pris le dessus sur la tristesse et le deuil. Chassant les larmes pour un temps, éloignant la morosité et le gris. Plus de chaleur encore au cœur des glaces.

Ils ne pouvaient tout même pas rester ici, au point de craindre les gerçures. Le froid se faisait mordant tout de même. Il avait déjà emporté l’un des leurs, il n’était nécessaire qu’ils soient trois pour y rester décorer les glaces.

La déesse était un problème, une divergence d’opinion. Rien de plus. Ils restaient frères tout de même. Et ça rien ne le changerait. Même pas la différence qui pourtant de trop paraissait évidente. Différence de caractère, de valeurs, de croyances. L’altérité n’était pourtant une fatalité.

Les iris se braquent vers le ciel qui se peint de couleur, qui s’entremêle, traverse la tempête. Peut-être, il ne partira pas seul. Les aigrettes du corbeau se tendent, interloqué. Est-ce fantaisie et illusion provoquée par son frère, rêverie peut-être ou souvenir d’enfance.

Il acquiesce, accepte le départ attendu. Celui qui avait que trop été retardé déjà.
Peut-être ne seraient-ils pas si affublé par le deuil cette fois ? Si abattus par fatalité.

Ils avaient beaucoup à faire. En commençant par retourner sur les terre qui était les leurs, annoncé le départ de l’Oracle.

Leur âme autant que leur corps, nous reconstruire plus fort encore.


Dans son cas, chercher le moyen d’être accepté de Mido. Renouveler sa foi pour l’autre, peut-être au près de sa nouvelle déesse ou bien au près d’une autre qui sait ce qui les attendrait dans un futur proche.

« Et aussi nous y préparer. »

S’il entendait partir visiter le nord, ils ne pouvaient s’y rendre sans protection et sans fourniture. Il n’était question de courir après sa propre perte.