Dur labeur du chasseur | Bastione

Il faisait un temps de chien. Un crachin glacial tombait du ciel, se mêlant au brouillard pour plonger les loups dans un atmosphère qui les trempait jusqu'à la moelle. On n'y voyait pas très loin, une fine couche de terre s'était changé en boue sur le sol, et touts les odeurs étaient accentuées dans un désagréable mélange. Les cheveux trempés de la jeune louve pendaient tristement autour de son visage, tandis que la teinte claire de ses pattes avait cédé la place à un brun terne à force de marcher et courir. Mais la saleté ne l'embêtait pas tant que ça en vérité - il lui suffirait d'aller se baigner à la prochaine éclaircie et tout serait oublié. C'était la faim qui la préoccupait d'avantage.

Un oeil avisé aurait remarqué que la silhouette de la jeune louve s'était affinée depuis son arrivée chez les disciples de Yurai et Mido. Depuis qu'elle ne vivait plus au Refuge mais dans un groupe, elle avait décidé de faire comme les autres et de chasser sa propre nourriture. Elle se sentait mal à l'aise à l'idée de se servir dans les réserves de ses hôtes étant donné qu'elle n'apportait pour le moment pas grand chose à la meute. Seulement voilà ; Cristalline n'avait jamais vraiment appris à chasser. Son père ne mangeait que des plantes et ne lui avait jamais enseigné l'art de tuer des proies. Pas plus que sa mère. Elle ne leur en voulait pas, persuadée qu'elle était capable avec des tests et son instinct de trouver une méthode. Mais force était de constater qu'elle ne s'en sortait pas très bien. Elle passait des heurs à traquer les pistes qu'elle trouvait pour souvent les perdre, parfois arriver à une proie, et très rarement parvenir à l'attraper.

Ce matin-là, elle avait fini par faire une pause, le moral un peu en berne, après des heures d'essai infructueux. Assise sous un petit arbre qui ne la protégeait pas vraiment, elle se demandait ce qui clochait chez elle pour qu'une chose aussi simple que la chasse soit si difficile. Elle était un loup, cela faisait partie de sa nature. Ca n'aurait pas dû être si ardu. La mine un peu déconfite, elle s laissa aller à ses tristes pensées sans vraiment faire attention à ce qui l'entourait.

Saletés de montagnes. Elles voulaient vraiment pas nous laisser passer hein. J'me retrouve à devoir traverser les terres de trouducs claniques. J'voulais vraiment éviter ça mais bon. Quand les cailloux veulent pas d'toi bah tu dégages avant d'finir dans un trou ou sous un éboulement. J'marche aussi vite qu'Roth l'permet ... C'est à dire aussi vite qu'l'escargot qui nous suit. J'lève les yeux au ciel. Faut pas être presser hein ! Au moins j'peux admirer l'paysage même si là, c'est juste de l'herbe. 'Fin faut l'dire vite parce qu'y a une sacrée brume et en prime, les nuages nous pissent dessus. J'retiens un frisson. J'suis trempé jusqu'aux os, j'ai la goutte au nez et j'me d'mande si j'vais pas y perdre un b'jou d'famille ! J'regrette presque la Montagne Bleue. Y'avait pas la pluie mais bon, y'a ma marmaille et j'sais pas lequel est l'pire.

On marche loooongtemps. J'guette au cas où qu'on s'retrouve avec un indigène. Ou m'me plusieurs. Ca m'ferait chier mais bon j'suis en tord. J'finis par discerner la silhouette d'un arbre. Un abri ! ENFIN ! J'accélère un peu, Roth grogne mais j'm'en fiche. Lui est imperméable, la pluie lui passe d'ssus tranquillou mais moi, j'me caille. J'm'approche mais la place est prise. J'hésite deux secondes. J'suis un étranger, j'devrais faire profil bas maiiiiiis j'ai froid. J'me dirige vers l'autre louve qui est ... V'là une surprise ! Y a donc des loups normaux ici sans qu'un parent ait ba*sé un reptile !! Bon l'seul hic, c'est une mioche jeune louve mais mioche quand même et qu'j'ai horreur d'ça. Pas pour rien qu'j'ai fui les miens hein.

- Tires pas la tronche. Fais un temps radieux.

Ouais fallait vraiment que j'me mette sous cet abri. J'pose le gros sac et j'm'installe comme si j'étais chez moi. J'regarde Roth qui ralentit en voyant la gamine. Quel trouillard.

Une voix grave la tira de ses pensées. Elle releva les yeux, qui s'étaient perdus dans la boue informe du sol, et constata que son propriétaire était tout proche. Elle se redressa presque avec un sursaut sur ses quatre pattes et recula d'un pas, lui laissant inconsciemment la place sous l'arbre - ça ne servait pas à grand chose mais psychologiquement avoir un abris était quand même un peu réconfortant. Les oreilles redressées, la petite louve le détailla rapidement de ses prunelles claires.

C'état un grand mâle dont la carrure lui rappelait indubitablement son père. Il était plus grand qu'elle - mais ce n'était pas compliqué, elle s'était rendue compte qu'elle ne grandirait visiblement jamais au point de la plupart des autres loups - et surtout bien plus carré. Ses muscles se dessinaient à chaque mouvement sous son pelage chocolat et sa mâchoire aurait pu attraper le cou de la louve tout entier. Il était harnaché de sangles, de sacs et de morceaux d'armure, et des cicatrices profondes barraient son visage. En bref, un loup qui n'aurait fait qu'une bouchée d'elle s'il l'avait voulu - peut-être qu'elle courrait plus vite, mais elle n'en était même pas certaine.

Il s'installa sans hésiter à côté de la place qu'elle occupait, et elle remarqua seulement la... chose qui l'accompagnait. Elle n'avait jamais vu son pareil de sa courte vite. Ca ressemblait un peu à un reptile, un peu à un amas de caillou, et pas à grand chose de familier. Elle rabattit les oreilles dans ses cheveux trempés, et adressa un sourire un pu timide au nouveau vu en répondant :

"Pardonnez-moi, j'ai un peu de difficultés à chasser... Ca entame ma bonne humeur."

L'odeur qu'elle flairait sur le mâle n'était pas celle des Nakhus, ni des Etelkrus. Etait-il solitaire lui aussi ? Elle ne l'avait jamais vu au refuge.

"Vous êtes... nouveau dans les environs ?"

Elle guetta ses réactions et son attitude, pour être certaine que ses questions ne l'importunaient pas.

J'vois la mioche s'levée et s'poussée. J'hausse un sourcil. J'suis si gros qu'ça ? J'préfère pas faire de commentaire, j'risque de mal l'prendre. J'lui propose pas d'se rapprocher. Ouais j'suis un connard et j'suis allergique aux gamins. J'l'entends commencer à m'raconter ses 'blems. Pouah j'sens que j'vais vite perdre patience mais elle s'tait vite sur ses mésaventures. J'avoue qu'elle m'fait un peu de peine avec sa trombine et c'petit sourire tristoune. Juste un tout petit peu peiné. Un chouïa de riquiqui d'pitié. ... Bon j'peux bien la nourrir un peu sans qu'elle m'appelle papa et m'suive partout. C'est comme si j'donnais d'la bouffe à un pigeon. J'commence à fouiller dans mon sac et j'lui lance un bout d'lapin sec. J'prends aussi un bout.

- Tiens bouffes ça.

Avec un peu d'chance, elle va s'taire et pas raconter trop sa vie.

- Ouais, j'viens de très loin. Et toi ? C'est ta maison ici ?

Ca m'embête d'la questionner mais faut bien que j'grapille des infos, histoire d'voir si j'pourrais trouver des pigeons à qui refourguer mes merdes.

La réaction de l'inconnu fut pour le moins... surprenante. Il avait un langage et des manières visiblement très bourrues, mais ne paraissait pas hostile non plus puisqu'il chercha dans son sac pour en sortir un morceau de viande séchée et le lui donner. Surprise, la jeune louve redressa les oreilles, puis jeta un regard bref au grand solitaire. Etait-ce pour être sympathique qu'il faisait ça, ou avait-il interprété sa phrase comme une sorte de mendicité et souhaitait se débarrasser d'elle au plus vite ? Elle hésita un instant sur la conduite à tenir, puisque c'étaient là deux interprétation très différentes - dans la première elle ne dérangeait pas, dans la seconde elle était au contraire extrêmement gênante. Elle déglutit, puis finit par lâcher :

"Merci."

Pour ne pas paraître impolie en faisant la fine bouche alors qu'il s'agissait d'un cadeau, elle avala rapidement le morceau de viande, tout en écoutant ce qu'il disait. Effectivement, il n'était pas d'ici, mais il resta extrêmement évasif - Réserve prudente ? Ou encore une fois réponse hâtive pour se débarrasser au plus vite de la corvée de cette conversation ? Ca commençait à faire plusieurs voyants rouges et Cristalline se crispa légèrement. Peut-être ce loup était-il simplement venu s'abriter ou l'arbre sans aucune envie d'avoir affaire à une inconnue venue se plaindre de sa courte existence. Cette pensée se fit insistante dans son esprit, tourna encore et encore jusqu'à devenir assourdissante.
On ne voulait pas d'elle.
Il fallait qu'elle s'en aille.

Puis il posa une question. Le timbre grave de sa voix brisa l'écho infernal qui avait envahi son esprit, et elle releva ses claires prunelles vers lui. Une question sur elle. C'était dissonant avec cette idée qu'il voulait qu'elle se carapate au plus vite de son espace vital, et suffisant pour atténuer l'alarme qui sonnait sous son crâne. Pour le moment tout du moins. Elle se râcla légèrement la gorge et répondit :

"Pas... vraiment non." La situation était un peu complexe à expliquer en des mots succincts, aussi se contenta-t-elle d'ajouter : "Je suis arrivée il y a trop peu de temps."

Elle laissa filer un instant, alors que ses yeux parcouraient l'inconnu une nouvelle fois, détaillant ces choses un peu étranges qui le caractérisaient - cette créature, les plaques de cuir et de métal sur son corps, les outils à sa ceinture, les cicatrices sur son visage - et lança :

"Je m'appelle Cristalline, et vous ?"

Et beh, accepter l'bout d'viande semblait être la fin du monde pour elle ! J'la regarde un peu chelou. Elle a quand même pas cru qu'j'voulais l'empoisonner ou j'sais pas quoi ? J'suis pas un gourou moi, pas comme l'illuminé à cornes d'la montagne. J'me retiens d'lancer une p'tit pique. Etre vache avec les gens d'mon âge ok, mais avec les gamins, ça puait l'risque d'la crise de pleurs. Et ça, hors d'questions d'supporter ça !

Et merde, si ça fait pas longtemps, elle va pas beaucoup m'aider. J'commence à m'dire que j'perds mon temps. J'fixe Roth qui s'est enfin décidé à nous r'joindre. Il regarde timidement la mioche. J'lève les yeux au ciel. C'trouillard me fatigue.

- Bastione et lui c'est Roth.
- En ... En chan-chan ... Té ...

V'là que Roth s'met à baragouiner. Bon même si elle est ici d'puis peu, j'peux p'être avoir des infos.

- T'sais où on s'trouve ?

Sans qu'elle ne sache exactement pourquoi, la jeune louve trouva que ce nom allait à la perfection à l'individu face à elle. Il était presque évident. Quelle ne fut pas sa surprise en revanche de constater que la créature qui l'accompagnait parlait. Et paraissait d'ailleurs bien plus poli que son... maître ? Ami ? Une lueur curieuse passa dans son regard, et elle adressa un petit sourire au dénommé Roth avant de répondre doucement :

"Enchantée aussi."

Nouvelle question, à laquelle cette fois-ci elle savait quoi répondre ; même si elle n'était ici que depuis peu de temps, elle commençait à connaitre les environs et ses habitants.

"Oui, nous sommes sur une Île du territoire de la meute Nakhus, les loups qui servent la déesse Yurai et le dieu Mido. Par là-bas, il y a un cimetière et une vieille maison, et par là une grande Bibliothèque."

Quelque-chose de terriblement cliché lu soufflait que ce solitaire n'était pas venu en quête de la Bibliothèque, toutefois elle présentait un avantage non négligeable : être un bâtiment couvert et chauffé.

"Je peux vous montrer le chemin si vous voulez. Il y a des foyers pour se réchauffer."

La potentialité de se sentir utile en rendant service à ce loup était douce et lui redonna un peu d'assurance. Elle se releva, attendant sa réaction pour prendre le chemin de la construction.

Bingo ! La gamine a des infos, j'vais pouvoir en savoir plus. Donc j'suis bien chez les Nakhus. L'gourou avait raison, cette meute laisse vraiment entrer tout l'monde sans protéger les frontières. Ca m'confirme aussi qu'ce sont des illuminés. Des dieux, nan mais franchement, faut être con pour croire à ces conneries ! J'préfère m'taire, j'suis p'être couché à côté de l'une d'entre eux, j'risque d'la vexer et adieux les infos utiles. J'hoche la tête, notant c'qu'elle m'dit. Un cimetière et une vieille maison hein, z'ont l'air un peu gothiques sur les bords ces Nakhus. P'être qu'ils font des sacrifices de chèvre pour leurs Dieux ? J'montre plus d'intérêt à la bibliothèque. Y'en avait une à la Montagne Bleue, y'avait que des ouvrages sur la Forge mais j'pourrais dégoter des informations sur ici. Puis l'idée qu'on puisse s'y réchauffer m'conquit. J'me relève et j'enfile mon sac sur l'dos.

- Merci Criss. Ca t'va si je t'appelle comme ça ?

Ouais Cristalline c'est long à dire, j'perds trop d'temps à l'dire.

- J'suis partant pour la Bibliothèque ! D'la chaleur et des livres, c'qui faut pour surmonter c'temps maussade, t'es pas d'accord ?

J'lui accorde un grand sourire. J'sens qu'cette gamine me s'ra utile.

Sa proposition fit mouche, et le solitaire mit en branle la lourde silhouette pour se redresser et la rejoindre sur le chemin. Il la gratifia même d'un sourire auquel elle répondit un peu timidement, mais la tension qui l'habitait baissa un peu. Et surtout, cette nouvelle initiative avait mis de côté les pensées que lui inspiraient son impossibilité à chasser et ce temps maussade. Elle se sentait enfin un tout petit peu utile. La queue légèrement battante, elle répondit :

"On ne peut plus d'accord ! Suivez-moi."

Elle s'ébroua machinalement, en prenant garde de ne pas l'éclabousser, puis se mit à trottiner sur le sentier boueux. A la première intersection, elle lui désigna du museau le chemin qui partait vers leur droite et lança :

"Le Manoir et le Cimetière sont par ici."

Eux, ils allaient tout droit. Lorsqu'ils parvinrent en vue du grand bâtiment, il était temps d'y arriver ; la tempête s'était véritablement levé et de grosses bourrasques soufflaient. La pluie, devenue torrentielle, les fouettait et les mordrait à chaque coup de vent. Par instants, la petite louve avait presque du mal à marcher droit - mais c'était sans doute sa petite corpulence qui en était coupable. Elle accéléra pour se réfugier à l'abris de la haute porte et se redressa pour en pousser les battants.
Mais rien ne bougea.

Elle était déjà venue plusieurs fois depuis son arrivée et n'avait jamais trouvée la porte fermée, ou même simplement coincée. Elle fit une nouvelle tentative en se redressant pour appuyer tout son poids en avant ; mais ce fut à peine si les gonds frémirent. Elle finit par se retourner vers Bastione et lança d'une voix forte pour couvrir le bruit du vent :

"Je crois que c'est coincé !"

La gamine semble r'trouver un peu d'joie. Parfait. J'la r'garde s'ébrouer, sourcil levé. J'vois pas l'intérêt d'faire ça mais ok. Elle prend l'chemin boueux, j'm'engage aussi, Roth sur nos côtes aussi vite qu'il peut. Elle commence son travail d'guide, m'indiquant l'chemin vers l'Manoir et les Maccabées. Y'a pas à dire, sont glauques dans le coin ! J'commence à m'demander si y'aura pas des fantômes dans la Biblio' vu l'ambiance qu'y règne ! J'hoche la tête pour dire qu'j'ai retenu ce qu'elle a dit.
J'lâche un sifflement en voyant l'énorme édifice s'rapprocher. J'presse un peu l'pas, la météo d'venir pire en pire. Ca m'gave d'être aussi trempé. J'ai l'impression peser trois tonnes. J'prie qu'mon sac soit assez étanche, j'veux pas qu'mes parchemins d'dans soient mouillés. J'devrais p'être forger une boite pour les mettre n lieu sûr que d'les laisser trainer !
L'vent pousse et j'vois la gamine peiner à avancer parfois. J'me r'tiens d'l'aider. A la Montagne Bleue ça aurait pas poser 'blem mais pendant mon voyage, j'ai d'jà eu des bricoles parce que j'avais osé toucher une bonne femme ! Vu qu'j'ignore les moeurs ici, j'préfère rien faire. Pas d'ennui et pas d'mauvaise réputation pour l'commerce !
On arrive sur l'parvis et elle fonce à la porte qu'elle tente d'ouvrir mais ça bouge pas. J'm'approche et elle m'dit qu'c'est coincé. Nan sans blague, j'crois que j'lavais pas remarqué ...

- Fait chier hein.

Mais j'm'avoue pas vaincu. Oh que non !! J'suis fort moi et j'compte bien utiliser tous mes formidables muscles pour ouvrir ces p'tains portes !

[Dé réussite : les portes étant glissantes, les dés détermineront s'il arrive à les ouvrir.]

J'tente à mon tour d'faire plier les portes pour qu'elles s'ouvrent mais avec c'sol humide, j'patine et j'me retrouve sur l'cul. J'lâche un grognement.

- Y a d'autres entrées ?

"Je ne suis pas sûre !" Lança-t-elle en réponse, alors que ses méninges tournaient à vive allure pour essayer de trouver une solution.

La pluie glaciale qui crépitait sur son pelage et le vent qui agitait ses cheveux ne l'aidaient pas à y voir plus clair. Elle s'efforça de se rappeler ceux qu'elle avait rencontrés et qui lui avaient parlé de la Bibliothèque. Elle savait qu'une partie avait été réaménagée après l'incendie - réaménagée et reconstruite - qui avait eu lieu bien des années auparavant. Si les Nakhus avaient été malins, ils avaient sans doute évité de faire un bâtiment à une ntrée unique après avoir fait face à une catastrophe du genre. Cette réflexion comme seule piste, elle ajouta :

"Par ici !"

Le boucan autour d'eux ne rendait pas tellement possible une vraie conversation, et elle aurait le temps plus tard de s'en vouloir d'avoir peut-être été trop impérative. Rasant les murs pour éviter au maximum la colère des éléments, elle bondit pour longer le bâtiment. Ses yeux clairs distinguèrent sans mal le moment où la texture du mur changeait, montre de quelque-chose de plus récent, et son coeur battit plus vite. Elle força l'allure, bondissant dans le sol boueux.

"Là !" Cria-t-elle en apercevant une petite porte à demi-cachée derrière un petit arbre.

Elle s'y précipita et, cette fois-ci, elle s'ouvrit avec un grincement mais ans opposer la moindre résistance. La petite louve manqua de tomber en glissant, les pattes trempées sur la pierre, alors qu'elle se hâtait d'avancer pour laisser la place au solitaire. Le souffle un peu court, elle se laissa tomber assise un peu plus loin et se retourna pour l'attendre. Ils étaient dans une sorte de petite couloir au bout duquel elle avait reconnu du coin de l'oeil la lumière familière, chaleureuse, et ô combien plaisante à ce moment précis, de la Bibliothèque.

Elle en profita pour s'ébrouer avant de se retrouver au milieu des livres - mais elle était si imbibée d'eau que des gouttelettes continuèrent de tomber sous son ventre en un ploc ploc régulier. Elle se redressa et lança d'un air un peu préoccupé :

"Ca va ? Votre... Vos objets ne craignent pas l'eau ?"

Si c'était le cas elle ne lui aurait pas rendu service du tout.

Ah bah si elle est pas sûre qu'y a autre entrée, on n'est pas sorti d'l'auberge ! J'commence à perdre d'patience. J'me les pèle et j'sens qu'mon sac d'vient plus en plus lourd. Il doit s'gorger d'eau, c'est pas possible ! J'grognasse un peu quand elle semble avoir un éclair d'génie. Elle part en trombe et j'la suis en poussant Roth qui grogne un peu. On prend encore la flotte mais j'dis rien, la laissant concentrer sur son idée. Elle r'garde les murs et j'r'garde c'qu'elle fait. J'vais p'être découvrir une entrée secrète ? C'tte idée m'plait bien, ça peut être utile. J'patauge dans la boue quand elle trouve c'qu'elle veut. Elle pousse une porte et disparait d'un coup. J'la suis dans l'couloir qui v'nait d'apparaître.

J'me r'trouve à l'abri et j'fais comme elle, m'ébrouant. J'défais mon sac et hop, j'vide pas mal d'eau au plus proche d'l'entrée pour pas tremper d'trop l'bâtiment. J'finis par la suivre parmi les livres. J'suis émerveillé d'voir une bibliothèque si grande, si fournie en bouquins qu'j'mets du temps à capter sa question. J'tourne la tête vers elle.

- Certains si mais c'est rien, juste des parch'mins.

J'hausse les épaules, pas vraiment inquiet d'l'état d'mon bordel.

- On d'vrait s'trouver un coin près du feu. T'es trempée, faudrait pas qu'tu sois malade !

Ouais j'm'inquiète pas pour moi, j'suis étanche et j'tombe jamais malade. J'suis trop génial pour qu'une maladie m'touche !

Les deux loups s'avancèrent parmi les hautes étagères, et l'odeur familière de l'endroit réchauffa le coeur de Cristalline. Elle en oublia presque l'état lamentable dans lequel elle se trouvait - pourtant les empreintes de pattes qu'ils laissaient derrière eux en étaient de jolies et boueuses preuves. L'endroit était calme, rien à voir avec le vacarme dont il arrivaient et dont on entendait plus rien une fois à l'intérieur. Seul le crépitement des cheminées et le bruissement des pages des lecteurs, ainsi que quelques murmures, troublaient le silence.

Elle fut un peu surprise par la remarque du solitaire, qui lui ramena à l'esprit son état - leur état - et elle hocha la tête avec un sourire. Elle prit la tête de leur binôme pour l'emmener en direction d'une cheminée un peu plus éloignée des coins de lectures populaires, pour qu'ils puissent discuter sans déranger ceux qui étaient là pour étudier. Il y avait un espace avec plusieurs pupitres, et le sol était recouvert d'un épais tapis tiède sous les coussinets. Une vaste cheminée baignait ce coin de sa lumière dorée et dansante.

"Voulez-vous que l'on étale vos parchemins ici, pour qu'ils sèchent ?" Demanda-t-elle en se retournant vers le mâle.

Elle ne savait pas trop à quel point leur contenu pouvait être confidentiel ou délicat, mais elle serait ravie de l'aider. Elle attendit sa réponse avant de prendre place sur le tapis pour ne pas paraître impolie.

J'la suis en ayant plus la tête en l'air qu'rivé vers l'sol pour voir où j'marche. Elle est vraiment gigantesque c'tte biblio ! J'zieute vite fait les bouquins que j'peux lire à une certaine distance. J'constate qu'il y a d'tout sujet et ça, ça m'rend joyeux. J'pourrai p'être trouvé comment faire un chariot, des plans d'objets à forger que j'connais pas. J'ricane un peu en suivant la gamine jusqu'à ce qu'on s'arrête. J'baisse les yeux vers elle et j'vois l'endroit douillet où elle m'a emmené.

- Une ch'minée !

Bien-heureux, m'voilà m'installant sur l'tapis qui réchauffe. J'profite un peu d'la chaleur avant d'me tourner vers la jeune.

- Viens te réchauffer.

J'tapote une place à côté d'moi. J'vois Roth s'glisser près du feu. J'commence à sortir les parch'mins détrempés d'mon sac.

- T'as raison, z'ont b'soin d'sécher ! Tu veux bien m'aider à les mettre sur les trucs ?

J'désigne les pupitres. J'attends quand même son accord avant d'bouger parce que ça s'trouve, j'peux pas les étendre d'ssus.

Le grand solitaire parut habité d'une joie sincère en découvrant les lieux, et plus encore la présence d'une cheminée. Son allure lorsqu'il vint poser sa large silhouette sur le tapis lui rappela l'animal qu'elle avait vu lors de sa rencontre avec Tiamat - un ours. Grand et lourd, lent d'apparence, mais probablement un redoutable prédateur une fois lancé à la poursuite de ses proies. Elle se garda bien de lui faire part de sa pensée, de peur de l'offenser - elle n'avait pas clairement défini si les ours étaient des créatures aimées, détestées ou même admirées des loups. Elle savait que c'était l'emblème de l'un des dieux Etelkrus, mais y être comparé pouvait ne pas être très positif pour un solitaire.

Elle accepta avec ravissement son invitation et savoura le contact du sol molletonné sous ses pattes en s'y aventurant. Elle tourna deux fois sur elle-même puis se coucha en sphinx, le flanc exposé à la lumière et à la chaleur du foyer et plus ou moins face à Bastione. Son regard clair remarqua que la créature qui l'accompagnait s'affairait non loin à ouvrir la besace du mâle pour en sortir lesdits parchemins ; comme ils pouvaient le craindre, certains avaient pris l'eau et des gouttelettes tombèrent sur le tapis lorsque Roth les y posa. La petite louve hocha la tête à la question et répondit :

"Bien-sûr ! Peut-être que vous pourriez... pousser le pupitre vers la cheminée avant ?" Suggéra-t-elle. "Ils profiteraient d'avantage de la chaleur et de l'air sec."

Elle osa demander tout de go, sachant très bien que vu la lourdeur du petit meuble elle-même n'avait clairement pas la force de le faire. En revanche, y disposer les parchemins c'était dans ses cordes - même s'il allait falloir faire un effort pour ne pas les lire au passage, elle était parfaitement consciente qu'il était impossible de désapprendre l'information et ne voulait pas se montrer accidentellement indiscrète.

J'bidouille encore un peu dans mon sac pendant qu'la louve s'installe. J'lui lance un r'gard, la voyant s'mettre bien. J'pourrais faire ça aussi une fois qu'j'aurai arrangé toute cette pap'rasse. Elle r'pond à ma question avec une suggestion et j'r'garde les pupitres. Vrai qu'les bouger avant d'installer mon bordel est une bonne idée. Même excellente !

- Hé tu en as dans la caboche dis donc !

J'lui fais un sourire. J'm'r'lève et hop, j'commence à pousser l'un des pupitres. Bordel ça pèse son poids ! J'peux au moins être sûr qu'sont en bois massif. Même si là, c'est trop massif. J'en rapproche trois, essayant d'faire pas trop d'bruit. Un silence d'intello règne dans c'lieu et j'veux pas passer pour la tâche. Une fois qu'j'les ai placé, j'r'garde Cristalline.

- Vlà, on peut les installer maintenant.

J'm'accorde une p'tite pause syndicale avant d'choper les parch'mins. Roth en sort encore quelques un et j'commence à les étendre sur l'pupitre le plus proche d'moi.

- Ah j'te l'dis, y'a rien confidentiel. Tu peux j'ter un oeil d'ssus. 'Fin la plupart sont du blabla d'forgeron, pas sûr qu'tu comprennes. Y'a b'coup croquis d'bricole aussi. J'pense qu'ça a dû bien baver !

Comme pour confirmer mes dires, j'me r'trouve avec un parch'min tout détrempé avec l'encre qui bave. J'plisse les yeux et j'comprends pas c'que j'avais marqué d'ssus. J'hausse les épaules et j'mets la feuille dans l'feu d'cheminée. Ca sert à rien d'le garder si j'comprend rien.

- S'ils sont dans un trop sale état illisible, mets les d'côté. J'r'gard'rais.

La petite louve répondit d'un sourire à la remarque sur solitaire, tandis qu'elle attendait qu'il termine d'avancer les pupitres pour se mettre à l'ouvrage, la queue remuant doucement de gauche à droite dans son dos. Elle en profita pour rassembler tant bien que mal ses cheveux en une espèce de tresse pour qu'ils ne la gênent pas, et surtout ne gouttent pas sur les parchemins - ce qui n'auraient vraiment pas amélioré leur situation. Lorsque le grand mâle se recula pour faire une pause, elle s'avança vers les feuillets que Roth sortait des besaces pour commencer à les trier.

Effectivement, même si elle était capable de les lire, elle ne pouvait pas comprendre grand chose à ce qui était écrit dessus. Il y avait pas mal de schéma, du vocabulaire qu'elle ne connaissait pas, des notes prises sans être accrochées à des phrases mais qui devaient être compréhensibles pour leur propriétaire sans doute. Et hélas un certain nombre de papiers détrempés dont tout ou partie était franchement illisible. Elle les disposa à part au pied du pupitre, comme il lui avait indiqué, et s'affaira à étaler consciencieusement ceux qui étaient récupérables.

"C'est vous qui avez écrit tout cela ?" Demanda-t-elle tout en continuant son travail.

C'était une quantité de connaissances impressionnante - et cela la rendait curieuse de ce que ce solitaire savait faire.

Vraiment sympa la p'tite. J'la r'garde du coin d'l'oeil et elle fait bien c'que j'lui d'mande. Elle est serviable mais elle d'vrait faire attention, j'sens qu'ça risque d'lui jouer des tours. J'r'tiens un soupir. De quoi j'me mêle ? Pas mes oignons si elle s'fait avoir aussi facilement. J'grognasse un peu et j'r'garde les parch'mins qu'elle met d'côté. Ca m'chang'ra les idées plutôt que d'penser qu'elle finira par s'faire avoir.

Y'a pas à dire, la pluie les à vraiment détrempé. Même en plissant les yeux, j'vois pas c'qu'il pouvait y avoir d'ssus. Ca sert pas à grand chose trop m'concentrer d'ssus alors j'l'ai froisse et j'les balance p'tit à p'tit dans l'feu. La flamme grogne un peu d'r'cevoir d'la bouffe humide mais elle vacille pas trop. D'temps en temps, j'souffle d'ssus pour la booster. J'quitte des yeux l'feu à sa question.

- Yep. Beaucoup d'temps parti en fumée !

J'ris un peu d'ma blague en r'balançant quelques feuilles dans l'feu.

Alors qu'elle triait les parchemins, le solitaire se mit lui à regarder ce qui était récupérable ou non. Il finit par jeter au feu crépitant à côté d'eux un certain nombre d'écrits détrempés - et les flammes se ravivèrent en dévorant le papier. Malgré le rire qu'il eut en répondant à sa question sur un ton léger, le coeur de Cristalline se serra un peu à la pensée de tout ce travail gâché. Sans doute pourrait-il les réécrire s'il en avait toujours le savoir - mais n'écrivait-on pas pour ne pas avoir à tout retenir ? Peu à peu, Roth et elle arrivèrent au bout des parchemins contenus dans le large sac de Bastione. Un regard clair sur les pupitres et la petite louve estima que le mâle avait perdu au moins la moitié de ses travaux. Sa gorge se serra légèrement alors qu'elle était saisie de culpabilité - si elle avait réussi à ouvrir la porte ou si elle l'avait guidé plus rapidement vers la Bibliothèque, ils n'en seraient pas là - mais elle s'ébroua et s'efforça de chasser cette pensée.

"C'est votre... travail ?" Demanda-t-elle. "D'écrire des choses ?"

Dans une meute elle aurait pu parler de rang, mais pour un solitaire elle ne savait pas trop comment présenter la chose. Et puis elle devait avouer être curieuse, car elle n'aurait pas de prime abord dit qu'un loup aussi costaud physiquement avait un travail aussi minutieux - elle l'imaginait combattre, voyager dans de rudes conditions, venir de lointaines contrées où la vie était aussi âpre que son accent.

J'me stoppe à sa nouvelle question. Elle est bien curieuse la p'tite mais là, j'crois qu'elle m'prend pour un ... Euh j'sais plus l'nom. J'soulève un épais sourcil en balançant les dernières feuilles trempées dans l'feu.

- Tu m'prends pour un scribe ? dis-je en riant un peu.

Par la forge, l'nom d'ce m'étier pecquenaud m'est r'venu !

- J'suis forgeron. Tout ça, bah c'est des bricoles sur des armes, des ustensiles et tout l'merdier. Y'a beaucoup d'truc où c'sont que des idées qu'j'f'rai jamais. Y'a des pap'lards sur des techniques d'forge mais j'les ai gravé dans ma tête , t'vois ?

J'hausse les épaules. Y'a pas qu'ça dans tout c'blabla mais en grande majorité.

- Ca aurait été plus emmerdant si y'avait des commandes d'clients mais pas l'cas.

Visiblement, elle s'était complètement trompée, et elle eut un petit rire gêné en réponse à la question du mâle. Mais il ne parut heureusement pas en prendre ombrage car il renchérit en précisant qu'il était forgeron. Les oreilles de Cristalline se redressèrent légèrement ; ça elle connaissait. C'était assez récent d'ailleurs puisqu'elle avait découvert ce rang en arrivant chez les Nakhus. C'étaient ainsi que l'on appelait les loups capables de travailler le métal, pour en faire divers objets, et notamment les broches qui attachaient les capes de la meute. Une lueur admirative alluma le regard clair de la petite louve.

"C'est impressionnant." Souffla-t-elle.

Elle fit quelques pas pour retourner s'asseoir près du foyer et achever de sécher son pelage, maintenant qu'ils avaient sauvé ce qui pouvait être sauvé du travail de Bastione.

"En quoi consistent vos... commandes en général ?" Demanda-t-elle avec curiosité.

Elle avait encore du mal à se figurer de quoi un loup pouvait avoir besoin. Les broches et les bijoux étaient décoratifs, peut-être était-ce de cela que l'on parlait - mais encore une fois, son petit doigt et les illustrations croisées au fil des parchemins lui soufflaient que ce loup travaillait sur des choses bien plus massives que de simples colliers.

J'suis toujours fier d'voir qu'mon job fascine et m'rend impressionnant aux yeux des autres. J'sais qu'j'ai pas b'soin d'ça pour être excellent en tout mais c'est ma p'tite fierté en plus hé ! J'finis l'travail et j'viens m'installer à côté d'la p'tite. Par la forge qu'le feu fait du bien ! M'v'là en train d'me réchauffer.

- Hmm j'ai d'tout. J'ai eu d'grosses périodes où j'faisais des armes. J'fais pas mal d'ustensile d'cuisine -marmite, bol- ou pour les soins. Y'a aussi les traditionnels b'joux et pièces d'armures, couronnes et autres trucs. J'suis pas spé dans un truc alors j'vois du monde et j'teste d'nouvelle chose.

J'm'installe confort.

- Et toi ? Tu comptes faire quoi ta vie ? T'veux d'venir quoi ?

Le forgeron vint lui aussi s'installer plus près du foyer, tandis que le corps crispé de Cristalline se détendait petit à petit sous l'effet de la douce chaleur que prodiguaient les flammes. Elle était encore loin d'être habituée aux conditions météorologiques des Nakhus - quant aux techniques pour chasser leurs proies, n'en parlons même pas - et elle avait l'impression de retrouver l'ambiance du cocon dans lequel elle avait grandi, dans leur petite grotte du refuge auprès de Papa Wymond et Maman Cloud. Ses cheveux ne gouttaient plus, et son pelage fin avait rapidement séché. Elle étira doucement ses pattes tandis que Bastione répondait à sa question.

Elle écouta avec attention et se laissa bercer par les images qu'il décrivait ; son travail avait l'air plutôt incroyable, et utile pour tout le monde. Elle s'était demandée pourquoi il ne faisait pas partie d'une meute, mais peut-être était-ce mieux ainsi. De cette manière tous les loups pouvaient recourir à ses services - elle savait que s'il avait été Etelkru par exemple, les choses auraient pu être bien plus compliquées. Il faudrait qu'elle aille les rencontrer un jour, ce drôle de groupe qui aimait bien plus l'ordre que les solitaires.

Elle ne vit pas venir la question qui suivit et qui la sortit instantanément de son état rêveur. Ses oreilles frémirent, sa bouche s'assécha et son regard fuit aussitôt vers la cheminée. Dans l'atmosphère, il lui sembla soudain que la chaleur et la complicité s'étaient envolées.

"Je..."

Elle chercha ses mots, des mots capables de traduire le tumulte de ses pensées sans donner l'impression de se plaindre. Elle ne savait pas quoi répondre parce qu'elle repoussait cette question, la question du but de son existence. Même si elle avait été choyée et aimée par Papa Wymond, elle n'avait jamais pus e départir de l'idée qui l'avait saisie plus tôt qu'elle s'était retrouvée dans cette famille car ses véritables parents n'avaient pas voulu d'elle. Son père ne lui avait jamais parlé d'eux, simplement dit combien il l'aimait et combien elle était un joli cadeau de la vie. Et elle n'avait pas insisté pour ne pas lui faire de peine ou le contrarier.

Mais au fond d'elle, lorsqu'elle songeait à ce qu'elle pourrait devenir, une même pensée surgissait toujours pour faire obstacle à ses projections d'avenir : quel était le but d'une vie qui n'aurait pas dû exister ?
La réponse qui lui venait était simple. Aucun.

Sa gorge se serra et elle articula :

"Je ne sais pas encore... Peut-être que ce séjour chez les Nakhus pourra m'aider, ils... Ils ont des rangs très variés."

C'était pitoyable comme réponse, elle en avait conscience. Mais elle n'était plus habitée que par une envie : échapper à cette situation, à cette interrogation qu'elle refusait de se poser, et surtout éviter d'être désagréable aux yeux du grand loup par l'attitude étrange que cette idée lui donnait. Elle se redressa et ajouta un peu précipitamment :

"Je crois qu'il ne pleut plus, je... Je devrais rentrer. Mon père va m'attendre. Excusez-moi."

Sur ces mots, elle s'enfuit entre les rayonnages, le regard triste et le coeur gros. Bien plus pour fuir ses propres démon que ce grand loup avec lequel, elle y repenserait ensuite, elle avait passé un excellent moment.

J'suis super bien installé, tranquille pépouze ! Mais j'me r'trouve bien vite comme un con dès qu'j'pose une question qui semble euh malv'nu ? J'vois la p'tite s'décomposer. Elle a l'air d'pas se sentir bien ? J'sais pas trop quoi faire mais elle m'en laisse pas trop l'temps non plus. Elle m'parle des rangs Nakhus mais hé, j'suis pas dupe, j'vois bien qu'elle est paumée. J'veux lui dire un truc mais hop, en deux s'condes, la v'là qui plie bagage et disparaît. J'r'garde Roth qui hausse les épaules. Lui non plus n'a pas compris pourtant bah c'est l'plus empathique nous deux. J'vois la silhouette d'Cris disparaître.

J'reste en silence un long moment, allant prendre un bouquin parlant d'j'sais pas quoi. j'tourne les pages sans vraiment lire. J'cherche encore l'erreur qu'j'ai commise avec la Beige. J'sais qu'l'avenir ca en effraie plus d'un mais à ce point-là ? J'm'y attendais pas hé ! Bref, j'finis pas ranger l'livre et j'rassemble mes affaires sèches. Une fois qu'le bordel est rangé, j'sors d'la Bibliothèque et j'prends ma marche vers j'sais pas où.