Amour fraternel [Lucian]

Ici ils s’étaient donné rendez-vous pour une entrevue, une mise au point et peut-être même un peu de ménage. Cela faisait longtemps que Lucian n’avait franchi le seuil de l’antre aux cristaux, mais fatigué d’avoir veillé sur son père défaillant à la bibliothèque, il était lasse de la moiteur de l’Île brumeuse. Ici les couleurs vivantes qui léchaient les parois étaient plus chaleureuses, plus brillantes, plus vives. Comme la pierre lumineuse provenant de l’ancien terrier qu’avait conservé ses parents et qui offrait un peu de lumière dans les temps sombres.

Il avait tardé à rejoindre la demeure.
À la vue de la fourrure sombre de son frère qui le précède, il se penche légèrement en avant, sourit brève à son approche.

« Tu voulais que l’on s’entretienne de quelques choses ? » Des lieux peut-être.

Les aigrettes sur le dessus de son crâne s’agitent, elles tressaillent à l’évocation du père. Un soubresaut, à peine perceptible, la preuve que l’attention se fait plus focalisée, plus étroite. Il songe un temps, se laisse envahir par un flot de pensées et d'analyses.

«  Je n’y vois pas d’inconvénient. Le lieu est délaissé. Je compte prendre parti de ses recherches, mais il ne me dérange en rien que certaines soient partagées. »

C’était l’évidence même que si certaines recherches se devaient d’être plus discrètes et intimes, adressées à un public averti d’autres telle que l’herboristerie et la botanie pouvaient se voir transmise, adaptée, voir même sublimée par le partage. Il serait bien sot et égoïste de vouloir conserver ces secrets pour eux, et les laisser mourir avec eux.

« Par contre concernant d'autres, plus anciennes, mieux vaudrait les dissimuler. Je m'en voudrais que quelqu'un tente d'ouvrir le monde rouge à nouveau. »

Il avait lu, compilé l'entièreté, il savait de quoi il retourne.

« Nous pourrions par exemple les enterrer dans la tombe de Père, ou bien les dissimuler dans le manoir. »

Lorsque son frère évoque l’idée saugrenu de creuser la glace pour rendre les recherches à leur père, il secoue la tête de gauche à droite, l’expression de son désaccord. Il ne leur aurait infligé quelques choses ainsi.

« Bien sûr que non, nous aurions pu simplement établir une tombe au cimetière à la mémoire de Père, nous n’aurions pas à voyager jusqu’à la grève. »

Utilité et praticité. Un lieu de recueillement, mais qui s’avérait inutile finalement, l’idée d’un laboratoire était plus plaisante à ses oreilles.

« Père avait ses côtés sombres, il s’est intéressé aux démons et à la nécromancie. Il a même désiré ouvrir le passage vers le monde rouge, par curiosité scientifique évidement. Mais Yersine son mentor l’en avait dissuadé en lui montrant ce qui existait derrière la faille. Dans sa jeunesse, il aurait trouvé un livre noir,mais je n’ai été en mesure de le retrouver, celui-ci à disparu. Il a certainement été perdu ou caché.»

Il hausse les épaules. Il n’en savait rien, père n’en avait jamais parlé, il n’avait fait que suivre des suppositions au travers des pages.

« Il s’est ensuite mis à compiler ses découvertes en matière de botanique, il avait pour projet d’établir un jardin médicinal à la Vasque, mais c’était avant de rencontrer Mère et de veiller sur le jardin avec elle. Je ne vais pas te le cacher, père ne s’intéressait pas qu’au soin et aux bonnes actions, ses recherches regorgent de poisons et de mise en garde. Il a aussi, catalogué ses voyages, notamment ceux au-delà de la grève, et pris en notes quelques mémoires dont les contenus ne sont pas toujours très pertinents. Père n’était plus ce qu’il était dans ses derniers instants. » Ils l’avaient perdu bien avant la fin. Et les dernières notes avaient une saveur amère, beaucoup de reproches et de remords.

Il conclue toute fois.

« Ton idée est meilleure, son souvenir sera ainsi mieux conservé. » Et moins de risque de le voir dérobé.

« Une sœur ?  J’ignorais que quelqu’un séjournait là-bas. Qui est-ce ? »

Son museau se redresse.

« Je ne sais pas exactement, Père a seulement évoqué un monstre, il ne s’y est jamais rendu à ma connaissance. Il l’aurait seulement aperçu à travers une brèche. De même, il n’a pas évoqué comment les invoquer. » Ni même comment les condamner, ou bien s’en protéger. « je ne sais pas si c’était une volonté de sa part de nous cacher ces informations ou s’il l’ignorait. » Peut-être que cela valait mieux ainsi, cela protégeai ses fils de l’idée saugrenue de visiter ce monde froid et tortueux.

Il paraît plus distant, distrait.

« Hum, étrange. » C’était le mot qui lui passait en tête. Une drôle d’histoire. Puis plus sérieux et moins distant. « Je serais curieux de voir de quoi il retourne de mes propres yeux. » S’assurer qu’il ne s’agisse ni de fantôme, ni d’un ami imaginaire que son frère se serait inventé. L’histoire sonnait des plus étranges à ses oreilles, il fallait bien trouver l’assurance du doute.

« J’irai y jeter un œil à l’occasion. Peut-être pourrions-nous nous y présenter ensemble, ainsi pourrais-tu faire les présentations et demander l’accord à la dame des lieux.»

C’était plus prudent peut-être d’agir ainsi.

« Ou mieux encore, peut-être pourrais-tu l’avertir par avancer. » Ainsi on ne se présente pas à l’improviste devant la grande demeure. C’était peut-être préférable. Il se déplace dans la pièce, nettoie quelques cristaux couverts de poussières. Il n’avait de doute que le lieu n’avait pas été visité depuis un moment. Il l’aurait deviné sans peine.


« Holzër ? Tiens donc. C’est ton ami ?» Une simple question, sur laquelle son attention se porte, il cesse sa tâche pour se concentrer sur lui. D’ami, il n’en avait pas à sa connaissance, il en aurait presque été jaloux ou envieux.


« Je n’ai pas eu le temps de m’établir où que ce soit. »

Il fallait du temps pour cela, du temps qui lui avait manqué depuis son retour. L’idée de devoir se trouver un nouveau foyer ne l’avait pas effleuré. Il s’était contenté de suivre le mouvement, dormir chaque fois qu’il trouvait un instant de tranquillité. Au dédale, à la bibliothèque, dans un arbre, c’était plus des instants volés que des véritablement moment de paix.

« Je pense qu’il ne serait pas correct de se présenter les pattes vides, il va falloir que je songe à ce que je pourrais leur apporter, un présent de valeur, mais lequel ? N’as tu connaissance de ce qu’ils désirent, de ce dont ils ont besoin ? »

Il redresse le menton, songe plus intensément.

« Je ne les ai jamais vu en dehors, je suppose qu’ils ne sortent pas de l’ancienne bâtisse, une carte peut-être, une fenêtre vers l’extérieur ou bien le souvenir d’un voyage peut-être ? Un livre, un journal de voyage ou simplement une histoire ?»

C’était plus personnel. Mais il leur était possible de tout deux partager leur aventure.

« Hölzer je l’ai croisé plus tôt. À la bibliothèque, il avait l’air perturbé. »

Par sa présence même.
Il faut dire qu’il lui avait causé une belle frayeur par la surprise qu’il lui avait inspiré. Il s’intéresse aux dragons, sa lecture semblait intéressante.

« Je suppose que c’est plus qu’un ami pour toi, peut-être même plus qu’un frère. »

Il fut piqué par une pointe de jalousie, il l’avait remplacé, mais c’était pour le mieux. Pour le bien de ce frère qui n’avait de cesse que de l’attendre lui, vagabond. Son regard se ferme un peu, les yeux se font deux fentes qui le jugent, l’observe de plus prés.

« J’avais raison. »

Une certitude, il le connaît que trop bien. Il n’avait besoin de s’expliquer, d’argumenter en ce sens, puisque les intéressés ne semblaient pas même au courant de leur sentiment propre. C’était à eux d’avoir tout le loisir de se découvrir.
Et il n’avait pas cette chance.

« Je pense que tu possèdes en toi, une bonne connaissance de ma personne, tu possèdes déjà réponses à ces questions que tu te poses. Tu sais qui je suis et ce que je suis. L’endroit m’importe peu, la solitude m’est plus désagréable encore que le voyage »

Il hausse les épaules. Il avait été absent si souvent et si longtemps, s’il avait eu un foyer, il n’en aurait retrouvé que les ruines et la poussière, à quoi bon établir un foyer pour y errer seul.

« Oh, ne t’inquiètes pas, je ne viendrais pas dormir entre vous deux. J’ai d’autres choses en tête.»

Il dessine un sourire moqueur sur ses lèvres, avant de lui donner un coup d’épaule.

Il s’immobilisa à nouveau, fixant son frère.

« Je vois. Il faudra que je me penche là dessus lors de mes prochains voyages. »

Parce qu’il ne comptait pas rester sédentaire, il lui semblait important plus que de voyager d’aller à la rencontre de quelques éléments

« J’aimerai explorer un peu, découvrir, expérimenter, mais je manque un peu d’entraînement. »

Il n’était comparable d’un point de vue morphologique, l’un était bâti solidement, l’autre était monté sur des échasses et d’apparence plutôt fragile. Il fronça le museau forcé de constater qu’il n’aurait plus l’avantage contre son frère en affrontement singulier, les jeux d’enfant étaient bien loin.

« J’ai passé trop de temps dans les livres de Père, j’en ai bien peur. Trop peu de temps à travailler ma condition physique. »

Il se redressa de toute sa hauteur, gonflant ses plumes pour paraître un peu moins gringalet.

« Je ne peux vraiment me vanter d’être très populaire au près des nôtres. »

C’était même plutôt le contraire, son retour avait échauffé les esprits. Ses conseils étaient pris pour des attaches, ses mots, un agression.

« Cependant je ne rougis pas de nôtre handicap, il ne me pose pas tant de difficulté, ce n’est qu’aux autres que cela pose problème. »

Ceux qui savent, ceux qui ne savent pas, ceux qui ne comprennent pas. Il pencha la tête sur le côté.

« Tu en souffres ? » Du fait d’être pauvre en relation, du fait d’être sourd, un peu des deux.

À la dernière question, il lui était difficile de répondre.

« Je pense que je devrais établir un logis, cependant, il me faut y réfléchir.»

Pas question de se contenter d’une yourte vide et froide qui serait à l’abandon lors de ses voyages. Il lui fallait une meilleure idée, un lieu de passage.

« Il me faudrait un lieu de passage et pourquoi pas, établir une boutique d’apothicaire pour partager ingrédients issus de mes voyages et potions issues de mes expériences. »

Mais ce n’était pas tout. Les projets s’étaient multipliés, imposés à sa conscience depuis son retour.

«Il me faut obtenir des héritiers. Mais je ne saurais dire quand-est ce que cela se produira. »

C’était une de ses nombreuses obsessions.

«  Mais le plus important, je désire apaiser la colère de Mido, trouver ce que c’est que Cohésion.»

Son expression devint plus sérieux, limite fermée. Il se devait de trouver et le cas échéant continuer à chercher inlassablement. Même si cela le conduisait à continuer à errer parmi les siens pendant encore longtemps. Peut-être alors pourrait-il porter ses couleurs.

«Il me faut aussi voyager à la découverte de nouvelles décoctions. J’aurai toujours besoin de nouveaux ingrédients pour mes Expériences, maintenant que Père n’est plus là, je me dois de continuer ses recherches et les réserves ne sont plus qu’herbier poussiéreux, je veux faire plus encore...»

« Je dois développer mon endurance et ma force physique si je veux pouvoir affronter ceux qui me menacera. »

La fourrure se gonfle. Il y avait bien des éléments qui pouvaient menacer en chemin, preuve étant le dragon qui avait menacé les terres plus au nord. Il ne souhaitait prendre le risque d’être brisé que ce soit par les créatures hostiles ou bien par des éléments naturelles.

« Ma différence ne me pose pas de problème je ne souffre pas de ne pas entendre. »

Et il n’en parlait pas ou peu, l’évocation se faisait uniquement s’il s’en trouvait questionner. Habituellement, il feintait l’entente, agissait comme si de rien, s’accrochait aux paroles qu’il pouvait lire aisément sur les lèvres de ses interlocuteurs. Se nourrissant de ses suppositions, de ses conclusions pour combler les répliques parfois manquantes, se trompait parfois.

« Je pense que la malédiction se transmettra. Mais je ne la crains pas. Mère entendait parfaitement, nous ne pouvons savoir si ce sera le cas ou non de nos héritiers. »

Les aigrettes se redresse.

« Te priverai-tu d’avoir des enfants par crainte qu’ils te ressemblent ? Les aimerais-tu moins si tel était le cas. ? Au point de ne pas souhaiter les rencontrer ? »

Il penche la tête, cherche à comprendre, interroge sans trop savoir ce qu’il se passe dans la tête du frère. Avant d’avouer ses propres conclusions.

« La malédiction transmise par mère fait partie de ce que nous sommes, de qui nous sommes, je n’aurais souhaitez être différent d’aujourd’hui. Je n’ai aucun regret.»

Lucian n’en faisait cas, fataliste, il ne se prenait pas la tête avec ce type de détail, cependant se voulait rassurant tout de même.

« Nous sommes de plus en plus nombreux, mère était seule, nous sommes deux, nos petits ne seront certainement pas seul non plus. Nous serons de plus en plus nombreux à nous comprendre sans nous entendre. »

Ils n’auront à souffrir comme tu sembles avoir souffert. Ils seront plus entouré encore.

« Si elle te pose tant de difficulté et t’inquiètes, il serait peut-être possible de la lever. Que ce soit pour toi ou pour tes enfants. Si nous trouvons le moyen, il sera toujours possible de reproduire le process. Je pourrais t’aider si tu veux, mais si je ne peux garantir que de tel pouvoir existe. »

Une quête de plus, peut-être le début de sa carrière d’alchimiste qui sait.

« C’est une possibilité, mais avant d’y songer, il faudrait qu’elle existe. »

S’il souhaite en confier les clés à quelques uns.

N’était-ce que Père et Mère auraient du faire pour eux. N’était-ce leur devoir de parents, celui qui lui semblait avoir été au combien négligé par leur père et vite oublié par le sacrifice de leur mère. Vision douloureuse, un crève cœur pour le nécromancien, il espéraient bien qu’ils ne rendraient tout deux coupables de même erreur. S’il était normal de laisser ses enfants seuls prendre leur envol, il l’était moins de les abandonner à leur sort.


Si leurs parents leur avaient donnés beaucoup lors de leur apprentissage, ils avaient tant perdu et avec tant de brutalité. Le corbeau se mordit les lèvres, il était resté amer de cette situation sur laquelle il n’avait eu aucune emprise. Ce n’était guère la vengeance qu’il réclamait mais certes un peu plus de considération qu’il espérait.


Un éclat d’agressivité transperce l’éclat de sa voix.

Qu’ils restent sot tout ces sots.



Il était bien trop sage et bien trop peu fier de lui, ce frère, pour tout ce qu’il était déjà parvenu à faire. Lucian, ne tenait qu’à lui rappeler qu’il n’avait rien à envier à d’autres.


Soudainement, comme les nuages qui se dissipent après l’orage, il s’apaisa, se couchant délicatement sur le sol gelé, laissant ses plumes dessiner des spirales contre la roche sans y prêter la moindre attention.

« J’espère bien que j’en aurai moi-aussi à te présenter. »

Égaré, il ne lui semblait pas. Il s’interrogea toute fois, relevant le menton vers le plafond d’où pendait quelques roches saillantes et autres cristaux étincelants.


Le corbeau haussa légèrement les épaules tandis qu’il essayait de rassembler les morceaux entre souvenirs et sentiments.

Il lui était difficile de se représenter à quel point, il fut désœuvré. Fut-il vraiment atteint par la désapprobation de ses pères, ou bien seulement déçu de n’être parvenu à ses fins sans éprouver de telles difficultés. Les aigrettes se redressèrent, avant de retomber sur les côtés de sa tête, hébété de devoir ainsi confier quelques secrets personnels et quelques sentiments.

« La disparition de Mère fut un choc. »

troublé.
Brutale et inattendue, bien loin de ce qu’il aurait pu imaginer. Ce qui alourdit grandement. Il pensait pouvoir toujours la voir même après son départ, la discerner parfois à ses côtés, dans ses pas, comme les autres qui si nombreux ne cessent de le croiser et l’épier. Mais non. Si elle fut quelque part, il ne la discerna pas parmi les ombres. Ce qui grignota peu à peu son souvenir.

C’était hors de notre pouvoir.

« Père semblait autant désarmés que moi, je pense que cela à mené à son déclin. Il n’a pas toujours été facile à vivre, j’ai essayé de rendre ses derniers instants plus confortables, l’apaiser par quelques remèdes, mais il ne voulait pas en entendre raison.»

Était-ce le prix à payer pour avoir abusé du pouvoir de Mido. Ou simplement la démence et le chagrin qui l’avait malmené à ce point ? L’ancien ne souhaitait pas que ses enfants se mêlent de ses affaires, il voulait certainement les préserver de cette déchéance inévitable.

« Parfois, nous avions quelques différents, mais … il restait notre père. »

Lucian serra les crocs une nouvelle fois, père ne voulait pas voir ses deux fils impliqués dans son déclin, ainsi avait-il caché la vérité concernant la maladie qui le rongeait depuis un moment déjà. Était-ce par compassion pour la sensibilité de son second fils ou par égoïsme qui ne l’avait ainsi préparé à un départ si tragique. Ainsi, on lui reprochera son ingérence et son absence, tandis que son fils ne le voyait plus comme un savant mais comme un vieux fou.

« J’ai essayé. tu sais de trouver un remède contre ce qui le rongeait. Mais j’ai échoué. »

S’il existait quelconque remède contre le vieillesse, et contre la sénilité, il ne le connaissait et si son père l’avait connu avant lui, il avait pris soin de le dissimuler à l’abri de tous. C’était ainsi, les règles de la vie et de la mort, qu’il ne leur était parmi d’outrepasser.

De toute façon rien n’aurait pu prouver qu’il eut accepté quelques remèdes que ce soit, car n’avait-il pas choisi sa propre mort.

Était-ce la vérité ? Était-ce un ultime cadeau de la part du vieux loup aigri.
Lui rendre sa liberté, ou bien, le sanctionner d’avantage.

L’adelphe se brise, s’effondre comme un château de carte fauché par un courant d’air. Lucian n’eut pas le temps de finir sa phrase que déjà des larmes cristallines venaient se briser contre la roche. N’était-ce pas ce qu’il redoutait, ce qu’il avait voulu éviter. Lui à l’image de son père, faire tenir l’illusion d’un équilibre pourtant déjà bien esquinté par les évènements tragiques qui n’avaient de cesse de les frapper.

Il ne voulait pas nous voir pleurer une perte nouvelle,
qui plus est inévitable.
Il le savait.

Le corbeau baissa les yeux. Lui qui ne pleurait jamais, lui qui semblait toujours froid comme les cristaux de la grotte, si différent et complémentaire à la fois, faisait face à son frère aux pupilles embrumées, aux yeux emplis de larmes. Pouvait-il faire autre chose que consoler son frère éprouvé par le chagrin. Non, il ne pouvait pas le lui refuser, lorsque Stendhal s’avança en cherchant son contact à l’aveugle, il s’avança d’un pas à sa rencontre, le laissant sécher ses larmes dans son encolure, tandis qu’il posait sa tête au dessus de lui.

Cela ne faisait aucun doute que le vieux loup avec voulu leur épargner cette peine, celle de devoir l’enterrer dans une sépulture, seul. Sans celle qui avait accompagné ses pas et sa vie. Ce que Lucian ignorait c’était si ces révélations auraient des conséquences sur son frère. Devait-il se montrer inquiet ou bien le laisser faire son deuil.

Pour lui, les sentiments étaient différents, il n’était pas identique pour ses deux parents.
Mère lui manquait bien d’avantage, quand Père, il pensait pouvoir le retrouver à la grève, à condition que son cœur le désir.

Comment pouvait-il lui refuser cette faveur, après tout, le lieu lui importait peu. La grotte était emplie de souvenirs, de rêve d’enfance, elle lui semblait bien vide aujourd’hui habitée seulement par leurs deux âmes de passage ici.


Le corbeau détacha sa cape gris anthracite, puis la fit glisser sur le dos de son frère, il l’ajusta de quelques coups de museau comme à son habitude, des tendances maniques qu’il avait conservé, mais ça aussi c’était un secret bien gardé. La lanterne faisait vaciller leur ombre contre les parois, alors que les insectes s’agitaient sans cesse, battant de leur aile translucide comme pour s’en échapper, ils ne rêvent eux-aussi que d’une liberté retrouvée.

Lucian ouvrit la porte, les laissant s’échapper.

Ça ira pour cette nuit,
eux-aussi,
avaient peut-être quelqu’un à retrouver
cette nuit.

Il les observa s’échapper dans l’ouverture, museau vers le ciel, sans un bruit, avant de se coucher au coté de son frère. Ce n’était que pour une nuit, une ultime nuit à ses côtés.