Cursed Fate [ft Cassius]

Cassius, 3 ans

Cassius longeait la crête, la neige crissant sous ses pas.
Cela faisait quelques jours qu'il explorait les Monts Célestes : il ne s'y était jusqu'à très récemment jamais aventuré, ayant réservé ses premiers mois d'indépendance aux contrées plus luxuriantes et abondantes en gibier. L'idée était de découvrir de nouveaux horizons, et nouveaux climats, et peut-être, de nouvelles plantes, idéalement médicinales, qu'il n'aurait pu trouver à basse altitude. Il aurait peut-être mieux valu se renseigner un peu avant de venir, mais le choix de cette destination avait été fait sur un coup de tête, comme c'était généralement le cas depuis qu'il vivait seul. Il supposait que c'était l'intérêt de la solitude : il n'y avait de comptes à rendre à personne, et tout pouvait s'improviser. Il se remémorait bien quelques enseignements de son père au sujet de ce qu'il pouvait être utile de récolter dans les parages. Il verrait bien s'il tombait sur quelque chose qui paraissait familier. Sinon, rien ne l'empêchait de revenir une autre fois, avec un peu plus d'informations sous le coude.
A vrai dire, il ne faisait pas beaucoup d'efforts pour trouver quoi que ce soit : les paysages étaient splendides et il était plus occupé à admirer ce qui l'entourait qu'à y chercher des edelweiss ou des reines-des-prés. Il avait beau être accoutumé des grands espaces vides et des falaises abruptes qui montaient jusqu'aux Cieux grâce à son enfance passée à la Passe, les vallées hérissées de pins et les petits sentiers de rocaille qui longeaient les lacs à l'eau glaciale qu'il ne cessait de découvrir depuis son arrivée ici étaient très différents.
Et ce n'était pas plus mal. C'était à peine s'il supportait de poser les yeux sur la vague tâche orangée qui désignait le Canyon, lorsqu'il l'apercevait au détour d'une colline. Il n'était clairement pas prêt d'y retourner.

C'est sur ce triste constat que s'arrêta sa réflexion, car son attention fut rapidement attirée par un piaillement venu de quelque part au-dessus de lui : en levant la tête, il aperçut un oiseau blanc qui tournoyait dans le ciel, et un discret sourire étira ses lèvres. Peut-être trouverait-il des plumes, aussi.
Un mouvement un peu plus loin attira son attention et il fut instantanément sur le qui-vive : là-bas, au milieu des rochers, une silhouette, tournée vers lui. Il ralentit ses pas le temps d'évaluer la situation. Il n'y avait pour le moment pas d'hostilité apparente, et l'odeur que lui apporta le vent était celle d'un mâle solitaire. L'autre venait de s'asseoir et attendait visiblement de voir ce qu'il allait advenir, Cassius décida de s'approcher prudemment.

Arrivé à quelques mètres de l'autre loup — enfin... il supposait, malgré les deux impressionnantes cornes qui surmontaient son crâne –, il se stoppa.

— Bonjour, fit-il sobrement.

Le corps de Cassius se détendit légèrement lorsque l'autre mâle lui répondit : il ne décela aucune forme d'agressivité, d'animosité ou... quoi que ce soit qui aurait pu suggérer que cette rencontre risquait de dégénérer. Cela ne l'empêcha pas de demeurer alerte. Parce qu'il ne connaissait pas ce gars, et aussi parce qu'à bien y réfléchir, il n'avait que très rarement eu l'occasion de croiser d'autres mâles. Ce qui en disait long sur sa maigre vie sociale.
Dans tous les cas, on lui avait inculqué dès son plus jeune âge de se méfier des autres gars, et même si avec le temps et les rencontres il en venait à remettre peu à peu en question les enseignements de Joaquín, ces derniers étaient profondément ancrés en lui. Faisaient partie de lui. Il ne pouvait s'en défaire d'un simple claquement de doigts.

Cassius eut un léger haussement d'épaules à la remarque de l'autre — c'est vrai qu'il n'y avait pas grand monde pour vivre dans les parages, mais il avait grandi dans un endroit aussi peu fréquenté et hospitalier pour les leurs, et probablement pour des raisons similaires, même si le climat y était radicalement opposé. Cela dit, il savait que Justice y avait vécu à l'époque. C'était donc faisable. Un rapide coup d'oeil derrière l'étrange loup bicolore, vers ce qui ressemblait à une entrée de tanière, lui laissa supposer qu'il y avait encore au moins un loup qui habitait ces montagnes.
Un loup qui se vit rapidement rejoindre par l'aigle blanc qu'il avait vu planer dans le ciel un peu plus tôt. Vision qui fit se resserrer légèrement sa gorge. Impossible pour lui de ne pas penser instinctivement à l'oiseau de son père qui avait été un compagnon de jeu à sa manière lorsqu'il avait grandi, souvent seul, dans la grande caverne qui était leur maison. Impossible aussi de ne pas se remémorer ce même oiseau baignant dans le sang de Joaquín, à ses côtés, au fond du canyon. Deux paires d'yeux désormais sans vie fixant impassiblement le ciel dans une mer de rouge.

— Un peu des deux.

Son regard retourna brièvement vers la très probable tanière de l'autre avant de revenir vers lui :

— Tu vis ici ?

Il apprécia silencieusement l'aigle en question, fièrement perché sur les cornes de l'autre mâle. Avant de hocher pensivement la tête.

— Les oiseaux sont de bons compagnons.

Peut-être aurait-il l'honneur d'en avoir un à ses côtés un jour, pour peu que le destin en place un sur sa route. Il n'aurait pas été contre.
La question suivante s'acheva sur un roulement sourd, quelque part dans les nuages sombres qui s'amassaient lentement au-dessus d'eux. Cassius fronça les sourcils : quelques instants plus tôt, le ciel lui avait pourtant semblé dégagé. Sans doute que le temps était particulièrement changeant dans les hauteurs, et que les orages s'y déclaraient de manière encore plus soudaine que dans le désert. Lorsqu'il baissa de nouveau le nez, ce fut pour s'apercevoir que l'autre mâle ne se tenait plus devant lui. Sa confusion ne fut qu'immédiate, car un éclat orangé attira son attention à quelques mètres, et il vit la longue queue de l'autre mâle disparaître lentement dans sa tanière.
Cassius se tint là sans bouger, hésitant. Puis un nouveau grondement dans les cieux, rapidement succédé par le début d'une fine bruine qui n'irait probablement qu'en empirant, le convainquit de lui emboîter le pas. Il ne l'avait pas explicitement défendu de le suivre, et en toute honnêteté, Cassius n'avait vraiment pas envie d'expérimenter un orage dans ces montagnes, qui plus est tout de suite. Il s'engouffra précautionneusement dans l'ouverture, son épais pelage balayant les parois de part et d'autres de l'entrée, et attendit sur le pas de la porte. Que sa vision s'acclimate à la différence de luminosité. Qu'on lui indique clairement qu'il pouvait rester.

— Du Canyon, sur les Terres Libres.

Enfin, il n'y avait pas mis les pieds depuis des mois, mais cela restait sa maison. Même si, en théorie, il était né par delà la brêche.

— Et toi ?

L'apparence de l'autre loup était singulière, avec ses grandes cornes et son pelage dévoré par le blanc, mais au vu de la diversité des physiques sur cette terre, il n'aurait su dire si l'autre était un local ou venait de loin.

Cassius tout entier se redressa un peu, lorsque l'autre mâle évoqua une louve qu'il avait croisé dans le Canyon. Son corps, animé par une attention toute nouvelle, semblait se tendre vers le Solitaire.
Cela aurait pu en soi être n'importe qui. Il avait après tout fait la connaissance de Nyu là-bas, et l'y avait recroisée par la suite. Il y avait vu d'autres gens, même si les touristes ne s'y pressaient clairement pas. Et pourtant, quelque chose en lui s'était allumé à l'évocation d'une mystérieuse louve qu'il avait pu y croiser.
Il y avait bien une femelle qui résidait à l'année là-bas. Enfin, avant.

— A quoi ressemblait-elle ?

Il ne prit même pas la peine de cacher sa curiosité.
Il finit de s'engouffrer dans la tanière suite à l'invitation de l'autre mâle. Mais ne trahit aucune forme de nervosité lorsqu'il mentionna avoir appartenu à la meute Etelkru. Ce n'était pas la première personne originaire de ce clan qu'il croisait, et s'il aurait pu faire preuve d'une certaine méfiance à l'égard de ses membres (ou ex-membres) par le passé, il avait appris il y avait bien longtemps de cela que ces derniers étaient plus nuancés dans leur approche des Solitaires qu'ils avaient pu l'être auparavant. Selon les dires.
Mais vu la rapide justification que s'était empressé d'ajouter l'autre loup quant à son passé d'Etelkru, Cassius supposait qu'il y avait effectivement eu matière à s'en faire. A une époque. Au moins.

— Sont-ils si terribles qu'on le dit ?

Un peu d'informations à recouper n'aurait clairement pas été de refus.