Tarte aux pommes [PV Lucian]

Le mage n’était pas plus chaudement vêtu qu’à l’habitude, n’ayant revêtis pour seul apparat que son foulard et sa longue cape noire qui venait dissimuler la plupart de ses plumes. Leurs regards se croisèrent brièvement avant que le loup aux yeux bleus

Il est temps d’y aller.

C’est ensemble qu’ils entrèrent dans la Sylve.
Au frôlement de la louve le long de son flanc, le loup frémit, posant une nouvelle fois ses yeux sur elle tout en la laissant le dépasser. Tout aurait dû lui sembler clair entre eux depuis les aveux de celle-ci et selon les termes de leur contrat, pourtant il demeurait des doutes, nourrissant les questions qui le traversaient encore parfois. Malgré tout, ne sachant si le contact avait été volontaire ou non, il se contenta de profiter de l’incident. Profitant de l’instant de chaleur qui s’était déversé en lui, rougissant discrètement sous son masque.

Il se mit à sa suite sans se laisser gagner par son enthousiasme et sa vivacité, se contentant de l’observer de loin tout en marchant dans ses pas, présence errante à ses côtés. Semblant parfois quelque peu absent, mais étonnamment calme.


La louve marqua l’arrêt devant un buisson de baies sauvages, rares en cette saison, il comprenait parfaitement son engouement. Lorsqu’il l’invita à y goûter à son tour, il s’exécuta docilement , s’approcha tout près et lui lécha la joue. Nettoyant d’un coup de langue la fourrure blanche tachée d’écarlate. C’était mieux ainsi, et si ce n’était pas ce qu’elle avait prédit, cela lui était égal. Une fois, le baiser volé, le corbeau partit à la recherche de ce qu'ils étaient venu chercher, se détachant de la louve.




Il s'immobilisa. Sur son chemin, nul sucrerie, nul joyeuseté, son chemin à lui était toujours parsemé de tombes.

Elle ne doit pas le voir.

Il se surprit soudain à s’inquiéter qu'elle puisse être entachée par telle vision, choquée peut-être. Cette louve qui lui semblait si sensible, si gentille, il ne pouvait prendre le risque de devoir à l'avenir lui apporter réconfort quant à cette vision. Il n'avait jamais été pilier sur lequel se reposer, alors c'est une stratégie qu'il élabora. détachant quelques longues plumes de ses propres épaules, il vint à lui calfeutrer les yeux, dissimulant l'horrible spectacle à ses paupières.




D'un coup de tête, il tenta de la guider plus loin, loin du spectacle macabre, ne sachant pas non plus si elle accepterai de se ranger à son jugement.

C’est par l’appuie d’une épaule contre la sienne qu’il la guida sur un autre chemin, la sentant tressaillir par moment sans vraiment s’en inquiéter. Lorsqu’ils furent tout deux dans une partie plus clémente de la sylve, lorsque le corps fut loin derrière eux, il cessa de la guider pour établir de nouveau une distance entre eux. Il relâcha les plumes qu’il avait emprisonnée, les laissant prendre leur envol un peu plus loin. Cessant alors de lui occulter la vision. La forêt semblait avoir regagné son calme surnaturel, seul le croassement des grenouilles venait troubler le silence de l’eau au oreille de la louve du moins, puisque lui en était privé.

La forêt demeura bien silencieux alors qu’il gardait attention sur le louve. Pourtant elle semblait avoir changé tout à coup. Elle ne parle plus, semble quelques peu éteintes malgré le sourire de façade.

N’était-ce qu’il voulait éviter ?
Devoir la réconforter et pourtant, elle semblait si troublée.
Et le silence entre les deux si pesant.

Il vint s’asseoir un instant au bord de l’étang, observant les poissons s’agitant sous le surface claire. Il hasarda donc :

« Il y a quelques choses qui ne va pas ?  C’est moi ? Je t’ai dérangé tout à l’heure ?»

Des problèmes de mémoire

L’inquiétude grandissante souleva en son esprit quelques interrogations mêlées à quelques angoisses. Et si elle l’oubliait, si elle l’effaçait de sa mémoire, ce serait un problème. Que pouvait-il faire, quelle stratégie pouvait-il adopter afin de se préserver de cette perte ? Le corbeau apparut assombri, distant, perdu dans ses machinations comme il avait l’habitude de l’être, surtout lorsqu’il était seul. Il tenta de recouper les informations, les superposer jusqu’à trouver conclusion favorable à son expertise, mais il n’avait de solution autre qu’agir en rappel.

Lorsque les yeux de la louve vinrent à recroiser les siens, il cligna des paupières. Chassant d’un mouvement de cils la négativité qui se déversait par flot au travers de son esprit noyé d’informations.

« Des problèmes de mémoire ? Nous l’ignorions. »


Il pencha la tête sur le côté, fit l’effort de sembler compatissant par la sélection de ses mots et par l’intonation qu’il prit alors que ses mâchoires venaient à mâcher ces mêmes mots, le faisant apparaître quelque peu contrariés malgré cette tentative de faire bonne figure.

Je ne suis pas une enfant,
Je suis une adulte

Ses aigrettes se rabattirent plus encore c’était comme un coup de fusil, des reproches qu’il n’entendait pas comprendre comme autrement, des intentions qu’on lui prêtait alors qu’il ne les avait jamais éprouvé. Il n’était pas ainsi, mais l’avait-il méjugé par mégarde alors que ce n’était nullement son intention ? Il ne saurait le dire, comme il ne serait dire quel lien autre qu’un contrat il existait entre eux. Peut-être était-ce une erreur de vouloir apporter son aide sans qu’elle soit expressément demandé ? Il était confus et pourtant se laissait emporter dans son excès de enthousiasme sans rien dire.


Il n’aimait pas cette forêt et encore moins ces drôles de créature qui n’avait de cesse de le suivre.

La louve blanche et violette lui apporta quelques explications, alors il sembla plus à même de l’écouter, plus ouvert. D’abord silencieux, ne faisant que pencher légèrement la tête vers elle dans l’attente de tous les éléments de réponse à ses questions, puis devenant plus actif dans la conversation.

« Tu ne te souviens pas de la totalité des évènements, n’est-ce pas ? »

L’absence ne pouvait lui échapper. Tout comme l’histoire contée de manière saccadée, incomplète, vidée de ses fondements. Si bien que le discours lui semblait détaché. Il n’avait ni nom pour nourrir rancune, ni circonstance pour attirer son indulgence.

« N’as-tu jamais désiré trouver vengeance au près de ceux qui t’ont privé de ta mémoire et de certains de tes souvenirs ? Ne voudrais-tu pas que j’aille à leur rencontre, pour t’apporter vengeance ?»

Une simple proposition qu’il ne connaît comme étant bonne ou mauvaise. Il reste calme, porte seulement des mots sur une possibilité qui aurait été sien, lui qui était rancunier jusqu’à l’os.

«  Tu sais, ce n’est pas grave si tu ne te souviens pas de tout. Je ne te considérerai pas comme amoindrie, d’ailleurs, je n’ai jamais cessé de te considérer comme un adulte, pardonnes-moi si je t’ai semblé trop envahissant, je voulais seulement faire preuve de bienveillance à ton égard. »

Confidence contre confidence, il se devait d’étayer son propos, de l’accompagner de quelques explications supplémentaires.

« Je suis sourd, jamais mes oreilles n’ont capté le moindre son par elles-même. » Ses yeux se firent deux feintes à demi-clos. « J’évite de le divulguer, habituellement, même si c’est facile à deviner… Rien ne m’est exécrable plus que la différence de traitement. »

Il posa un regard sur la couverture, curieux de ce que pouvait contenir tel ouvrage. Ne doutant pas avoir été nommé au travers de ses pages sans pouvoir en déterminer le sujet exact.

« C’est comme un journal intime en somme. J’en ai un aussi. Enfin. Un recueil, j’espère y compiler quelques recettes alchimiques. »

Il passe son museau sous sa cape, extirpe un ouvrage à la couverture bleue et aux symboles ésotériques tracés comme à l’encre sur la couverture. Cependant, il ne pouvait en montrer l’étendu du contenu, en effet, les pages si nombreuses soient-elles était pour la plupart encore immaculées de blanc et dépourvue de tout tracé. Après lui avoir montré, il le rangea de nouveau à sa ceinture.

« Et nous que sommes-nous, l’un pour l’autre ? Sommes-nous des amis ?»

Il ne fut guère surpris des difficultés qu’elle semblait éprouvé pour rassembler les quelques souvenirs douloureux qui lui restaient après l’incident. Une mémoire volatile, des pensées sporadiques, d’évènements en fragment ils n’étaient plus que poussières et bribes, quel importance pouvaient-ils avoir désormais, ces souvenirs douloureux qui ne faisaient que la torturer d’avantages. Peut-être valait-il mieux fuir ses propres souvenirs lorsque ceux-ci n’apportaient rien de bon dans leur sillage, les fuir peut-être même, si tant elle qu’elle en soit capable et qu’ils ne se ramènent pas à son esprit. Les deux yeux jaunes pâles se penchèrent sur elle, l’observa emplie de doutes, accablée de faiblesses.

Il attendit réponse à sa question, disposé qu’il était à lui rendre service si tant est que cela fut son désir. La réponse ne tarda pas, mettant fin à son dilemme, sans pour autant remettre en question ses intentions ou bien le juger pour ses réactions parfois trop extrêmes. Peut-être fut-il soulagé d’apprendre que celle qui était responsable des dommages qu’avait subi Blizzard avait été puni, ou peut-être qu’il fut déçu de n’avoir à contribuer à cet effort, de n’avoir la possibilité de réparer un tant soit peu les torts causés par un espèce d’héroïsme ou de justice vengeresse qu’on n’aurait attribué à une personne soit étincelant de justice, soit aveuglée par sa colère. Lui, il n’avait jamais vraiment eu l’occasion de s’exprimer, de questionner sa propre action afin de déterminée si elle était juste à entreprendre ou s’il était simplement guidé par son envie de faire justice par lui-même, de réparer à sa façon ce qui ne pouvait pas l’être. La mémoire éphémère, la douleur, l’abandon, le profit envers sa faiblesse et l’atteinte à sa liberté, tout ces abus, lui hérissait la fourrure.

Puisque quelqu’un était déjà intervenu, il abandonna son idée de partir en guerre. Même si cette personne n’était autre que la déesse Yurai qu’il avait en horreur. Ses babines frémirent à l’évocation de son nom. Il roula des yeux, laissant son regard s’attarder sur les nombreux champignons qui tapissait le sol, à croire que cette forêt en était recouverte.


Lasse, il s’étira,feignant de faire quelques pas pour se dégourdir les pattes, il venait d’économiser beaucoup de son énergie par l’absence de ce voyage, de cette quête de justice, toute fois, il était assez surpris des déclarations de la louve. Elle voulait venir en aide à celle qui l’avait grièvement handicapée, lui offrir le pardon, la rédemption. Il fit la moue et pencha la tête sur la côté avec de la fixer de nouveau sans afficher aucune expression particulière.

« N'as-tu pas peur que l'on abuse de ta confiance, à force de te montrer si gentille et compatissante envers tous, sans distinction ? »

N'était-ce qui avait tant nuie à ses parents, cet abus de confiance, qui avait fini par détruire peu à peu la colombe, grignotant ses ailes jusqu'à ce que naquisse le doute en son cœur. N'était-ce qui avait conduit à la fermeture des frontières, et à la vie recluse et même à sa propre fermeture au monde, une fuite en avant en quelque sorte.

Est-ce si simple ?

S'ouvrir aux autres, s'ouvrir au monde, à elle peut-être...
S’il était ami pour elle, l’était-il réciproquement, ses aigrettes tombèrent de chaque côté de son crâne et sa mine se referma sur l’interrogation qui venait de le traverser. Il était loin d’être certain. Se devait-il d’avouer qu’il n’était pas certain de savoir ce qu’être ami signifiait pour les plus communs des loups. Embarrassé qu’il était d’avoir gauchement posé la question au risque de causer plus de peine encore.

Pouvait-il seulement avouer qu'il ne savait pas, que toute ces choses, ces sentiments lui étaient inconnus.

Il se secoua pour tromper les doutes, chassa une nouvelle fois toute confusion qui aurait pu apparaitre sur son visage. Il était de nature méfiante, peinait à prêter confiance à n'importe qui, sans rougir de l'utilité qu'il ou elle puisse lui apporter, là était la vérité, mais en ce qui concerne les relations qu'il existait entre eux, il les voyait comme autant d'engrenages, un fragile équilibre qu'il ne saurait nommer de lui-même.
Une amitié peut-être.

Elle s’était arrêté, il prit la décision de lui laisser du temps au cas où elle en aurait besoin, il l’attendit à quelques mètres, afin de ne pas la distancer. Les aigrettes la suivirent lorsqu’elle reprit sa marche.

Le rejet.
Il fut parcourut d’un frisson. À son souvenir s’était rappelé les images chaotiques de la chute d’Aiiro sur le temple de Yurai et les débats qui avaient suivi. Tous, l’avait rejeté. Il n’avait trouvé de main tendue que celle de son frère alors qu’il voulait tous les mettre en garde sans certitude tout fois. Une simple mesure de précaution. Il en avait souffert de ce rejet, de ces jugements, s’était vu chassé de l’assemblée. Fut embrasé par la colère.

Faire sa propre introspection lui était difficile, il était rare qu’il se remette lui-même en question, même s’il lui arrivait de mettre en doute ses propres pensées afin de les mettre en relief.

Voici ce qu’il ressemblait à des aveux.
Ce qu’elle venait d’avouer, c’est qu’elle ne pardonnait pas toujours le mal qu’on lui faisait, que sa confiance pouvait être rompue, c’était une bonne chose, il croit. Du moins, c’est ce qu’il lui sembla. Il n’était pas si différent après tout. Il y avait des échos, des ressemblances malgré leur discordance.

Lorsqu’elle lui tend le sachet couvert de sève, il fut surpris tout d’abord, puis il accepta ce présent, s’en saisissant avant autant de délicatesse qu’elle en avait employé pour la récolter. Il la remercia d’un mouvement de tête, avant de la ranger précautionneusement entre les pages de son livre.

Permettre la rédemption ce n'est pas être faible

Il était paranoïaque parfois encore aujourd’hui.
C’était ce qui l’inquiétait, ou ce qui semblait l’inquiéter. Il n’était pas du genre à jouer son destin aux jeux de dé, ni même à laisser ses chances entre les mains du destin. Il n’aurait certainement pas couru ce risque. Des feu follets virevoltèrent autour d'eux, Lucian les chassa brièvement.