Un créneau pour un lichen · Désastre

C'est l'heure du créneau de Valériane.
Le gris s'est levé, cessant de dormir pour aller retrouver sa fille dans la petite grotte qu'elle s'était établie au castel.
Il dormait avant chaque créneau important, maintenant. Pour réaliser celui-ci au mieux, acceptant la condition de son âge et faisant en sorte de conserver un maximum de ses capacités. Il était plus attentif, plus patient et plus performant, lorsqu'il se reposant bien avant.
Même si cela le conduisait à dormir beaucoup plus qu'avant.
Il dormait avant ses créneaux de panseurs, avant de retourner danser pour Kiro dans un créneau raccourci, avant un tour des frontières qu'il faisait en deux fois, avant le créneau de ses enfants.
Il était un loup vieillissant mais qui se voulait rester actif, capable d'adaptation.

Il avait apprit, à être flexible.
Il acceptait, certaines journées, de ne rien faire, parce que ses sens s'épuisaient et que son corps avait besoin d'une plus grande récupération.
Des jours devenus rares, maintenant que l'hiver était presque achevé ; il en ressortait vivant mais épuisé.

Et d'un pas lent et trainant, il va.

Valériane l'attend, toujours enthousiaste. Lui la salue d'un mouvement de sa queue qu'il remonte.
Elle a grandit et ressemble beaucoup à Anita, même s'il retrouve certains de ses traits.
Ses oreilles évidées, qui lui avaient jadis manqué quand Pepper, Dough et Cookie n'avaient plus été. Ces poils remontants sur ses joues.
Et cette façon de s'exprimer, un peu.
Cela devait venir de lui. Il croit.
Il s'y était accoutumé, analysant sa gestuelle et ses expressions pour savoir ce qu'elle souhaitait lui communiquer.
Et quand certains Meep auraient pu vouloir dire bien des choses... Il demandait confirmation, comme ici :

« Tu veux que je t'en fasse la lecture ?
...
Je peux t'expliquer certaines choses, aussi. C'est pour mieux trouver comment prendre soin de ton lychen ? »

Il ouvre le livre. Si elle hochait la tête, il lui en ferait une stricte lecture. Si elle lui montrait le passage lui posant problème, il le lui expliquerait.
Sinon, il lui fournirait une lecture entrecoupée d'informations.

Ils avaient tout son créneau, pour le faire.

Valériane désire une lecture complète de l'ouvrage, ainsi que des façons de prendre soin de son lychen.
Si sa communication n'est pas ordinaire, elle n'en reste pas moins facile à comprendre. Désastre n'avait jamais fait de grands efforts, pour celle-ci : dans un fonctionnement simple et similaire aux siens, dans des questionnements concrets et non imagés, elle lui ressemblait. Beaucoup.
Naga aussi. Mmh. Ses filles tenaient de lui, quand ses fils tenaient d'Anita, oui. Même d'Alexandrine, pour Basilic.

Devant cette page qu'il s'apprêtait à lire, elle fit par ailleurs comprendre quelque chose d'autre. Une difficulté à lire, un effort visible. Elle doit se concentrer, beaucoup, trop. Et si elle a en acquit la notion même de la lecture, il n'avait pas plus approfondi cela avec elle.
A ses côtés, son encolure plus fournie frôlant la sienne, il trouva des explications. Il n'avait jamais étudié la pédagogie de la lecture, et les troubles de l'apprentissage lui étaient inconnus. Pour lui, l'on disposait ou l'on ne disposait pas de certaines facultés ; certains loups n'étaient pas bons pour réaliser des tâches, quand d'autres y excellaient.
Mais il avait l'expérience de la transmission, et une cognition portée sur la compréhension. Il avait connu des façons multiples d'apprendre, ayant reçus de plusieurs instructeurs, et avait lui-même adapté ses apprentissages selon ses apprentis.
En ce jour, c'est comme si elle en devenait une.

Elle isole un mot, puis un autre. Des mots lui échappent ?
Ou bien est-ce les phrases trop longues qui dissipent son attention, défaut aussi retrouvé chez Basilic.

Il propose des solutions. Entre chacune d'entre elles, assez de temps pour que sa fille puisse réfléchir et émettre, ou non, un son.

« Il ne faut pas se limiter à un mot, parfois. C'est la compréhension générale qui prime. Rester sur un mot et un seul mot, c'est se frustrer, c'est s'énerver, c'est perdre patience et avoir plus de mal pour la suite. Passe au suivant, et revient une fois la phrase terminée.
Mmh.
Que ce soit écrit petit peut aussi être une difficulté. On peut trouver un verre, pour le grossir.
...
Ou bien la disposition même du texte.
Au milieu, ou entouré de beaucoup de choses, on s'y perd. On peut le découper, pour le replacer sur une autre feuille, tout seul.
...
Aussi, certaines lettres se ressemblent beaucoup, ce n'est aussi pas facile. Je peux recopier ce qui est le plus intéressant pour que tu le relises toi, et en conserve les notes. »

Ce sont les problèmes qu'il trouverait, à une mise en page ou à une impression. Il se base sur les difficultés qu'il éprouve, lorsque ses yeux fatiguent en fin de journée. Un problème ponctuel chez lui, mais peut être récurrent chez sa fille.

A la suite de chacune de ses propositions, Désastre se montra attentif, écoutant avec le plus d'attention possible les réponses de sa fille. Ce n'était qu'un mot, à chaque fois. Un mot pour qui il prêtait pourtant l'attention de toute une phrase, en y recherchant la moindre intonation. Un mot qu'il écoutait aussi avec les yeux rivés sur son visage, captant sur celui-ci le moindre frémissement de ses sourcils, de ses yeux, de ses commissures.
Un Meep signifiait énormément, pour qui savait l'écouter.

La taille de l'écriture ne semblait pas poser de véritable inconvénient à Valériane. La disposition, au milieu d'autres textes et d'images, davantage.
La forme des lettres, elle, sembla provoquer chez elle un déclic. C'était là, que résidait sa principale difficulté.
Il comprend. Il comprend même avant qu'elle ne dessine les lettres qui lui posent le plus de problème, à savoir le q et le p.

« C'est vrai qu'elles se ressemblent trop. En miroir l'une de l'autre. »

Il s'approche, se saisit du caillou aiguisé que prit Valériane pour tracer les lettres sur le mur du castel. Il semble alors réfléchir une seconde, essayant de se remémorer toutes les écritures lues au cours de sa vie. Dans les ouvrages de la bibliothèque, il n'y avait pas que ces manuscrits. Il y avait aussi les carnets et les notes des loups, aux écritures différentes.
La sienne était très droite. La sienne pouvait induire Valériane dans l'erreur.
Mmh.

Au dessus du
q
il trace un
Q ainsi qu'un q en écriture cursive
et au dessus du
p
il trace un
p en écriture cursive.

« On peut leur donner plusieurs formes différentes. Comme celles-ci. Mmh. Même des symboles inventés, qui ressembleraient à un dessin plutôt qu'à une lettre. Certains inventent des écritures qu'ils sont les seuls à comprendre, et que les autres doivent déchiffrer. Tu peux décider de comment écrire.
...
Si ces formes de lettres te conviennent, je pourrais te recopier une partie intéressante du texte. Sinon, je les écrirais comme tu le décideras. »

A nouveau, il lui tendit le caillou servant de crayon.
A elle, de choisir. Lui se conformera, qu'importe sa décision.

L'apprentissage est important, et Désastre est patient durant celui-ci. Il laisse Valériane tracer toutes les lettres de l'alphabet, base déjà donné lorsqu'il lui apprit à lire. Une notion fondamentale, pour lui, et sans doute la première chose qu'il inculqua. Mais ce qu'il en ressort ne la satisfait pas, il entend son mécontentement et dresse l'oreille entendante en sa direction.
Que sa propre vue ait tendance à baisser, en résultante de son âge, l'aide à percevoir ce qui pourrait ne pas lui convenir.
Il comprend.
Pour certaines lettres, la similitude persiste. Tout est en majuscule, aussi : elle manque d'idées pour différencier toutes ses lettres, il croit.

Reprenant de quoi tracer, il note ses suggestions à côté des siennes.

« Tu peux les épater un peu plus. Comme si tu écrasais le A, pour le rendre plus large et moins haut.
Tu n'es pas obligé de donner à toutes les lettres la même taille.
...
Tu peux aussi séparer un peu plus les traits, en décidant de leur disposition, ou les pencher au lieu de les faire se tenir droit. »

Pour un L, il trace un \_, ainsi qu'un \ _

« ...Beaucoup de lettres sont droites. Tu pourras les différencier un peu plus, si certaines sont ainsi, en penchant le trait d'un côté ou de l'autre.
Mmh.
Au lieu de l'arrondis du b, du d, du p, tu peux aussi décider d'en faire un plus carré et un plus pointu.

Le b voit son arrondi remplacé par un petit carré. Le d voit son arrondi remplacé par un petit triangle.
Il n'était pas très imaginatif, Désastre, et ses suggestions se basaient dans des formes plus géométriques, comme celles que l'on retrouvait régulièrement dans leur réel, comme celles vues dans le monde du monstre de noir et yeux.
Quoi qu'il en soit et sans cesser de réfléchir à ce qu'il pourrait proposer à sa fille comme solution, Désastre observa son visage en recherche d'une approbation ou d'une désapprobation.

De toutes les idées qu'il lui fournit et de l'aide qu'il lui apporte, Valériane tire l'enseignement qu'il lui faut, et trace petit à petit les lettres qui lui permettront de faciliter ses lectures. C'est une étape nécessaire, pour aller ensuite plus loin. Quelque chose d'important.
Une ressource nécessaire pour sa compréhension du monde.
Il avait lui-même trouvé les siennes, au fur et à mesures des années.

Tous les loups étaient différents, et certaines connaissances de soit étaient importantes à avoir pour savoir s'adapter.

Quand sa première fille émet un son, contente de son résultat, l'ombre d'un sourire parait sur les babines de Désastre.

« C'est un bon travail. Bravo. »

Et c'est en se basant sur celui-ci, qu'il pourra travailler avec elle sur les livres apportés, qui lui permettrait de lui fournir plus amples informations.
Et d'apprendre, aussi, sur les lichens qu'il n'avait jamais étudié jusqu'alors.