Un visiteur venu d'ailleurs | Libre // Archives

L'Eté pointait le bout de son nez avec tout son lot d'avantages. Plus besoin de petite laine pour sortir ou préparer l'arrivée de la pluie, le retour du plein de vitamines et de cette chaleur enveloppant les corps qui se laissaient caresser par le soleil. Que c'était agréable ! En parlant de chaleurs, certaines louves étaient déjà impactées. C'était donc le parfait moment pour prendre la poudre d'escampette et aller voir ailleurs.

Zen faisait de vieux os. Il se sentait mou, bedonnant, un vieux quoi. Et il n'en était pas ravi du tout, lui qui aspirait à une jeunesse éternelle, il prenait doucement conscience qu'il avait passé le cap des 6 ans depuis longtemps, et que sa septième année approchait à grand pas. L'avantage qu'il avait, c'était d'avoir le poil clair, donc ses poils blancs passaient inaperçus aux yeux des autres (et un peu des siens). Il n'en prenait donc pas spécialement compte.
   
Et le gris avait cette impression de n'avoir pas accompli autant qu'il le rêvait il y a maintenant longtemps. Où était passé ses envies de voyage, de découverte, d’être le roi du monde admiré par ses sous-fifres ? Alors un matin, plutôt que de se rendre à au lieu habituel de ses missions, il fuyait les autres, les louves, Désiré, et se glissa l’air de rien en dehors des terres Etelkrus. Il n’avait jamais été bien loin en dehors, se contentant des rencontres avec les solitaires à la frontière.
   
Ses entrailles lui ordonnaient de s’enfoncer un peu plus vers l’inconnu, là où le soleil se levait et là où il n’allait pas. De toute façon, enfant sage qu’il était, il jouait de sa réputation d’être dans les rangs pour cette journée de congés. Il reviendrait, quoi qu’il arrive, mais il avait besoin de retrouver cet éclat de malice, Zen. Jouer avec Etna et Sakura, être leur infirmière, il ne voulait pas aujourd’hui. Il serait celui à sauver et à s’inquiéter, sans doute. Mais il espérait pouvoir se débrouiller tout seul comme un grand, comme un loup de son temps en pleine fleur de l’âge. Il était sûr d’être solide et un peu redoutable, quand même.
   
Il pensait bien à aller au Nord, comme il avait pu en entendre parler, mais il n’y était pas du tout préparé, et surtout, seul ? Sa soif d’aventure ne devait pas non plus lui faire risquer sa peau. Il irait vers le Nord, mais pas à l’extrême. Ainsi, il prit un baluchon avec 2/3 affaires de première nécessité au cas où dedans, du bandage, un peu d’alcool pour désinfecter une plaie, de l’eau, et le voilà avec ce petit sac sur le dos en quête de l’inconnu.
   
Il croisa quelques autres loups le temps de passer les frontières, tout sourire comme à son habitude, échangeant quelques mots avec les plus bavards. Ses yeux papillonnaient tendrement, et il retournait vaquer à ses envies de nouvel air en quelques enjambées élégantes et chaloupées jusqu’en dehors des terres. Il était désormais bien seul, un fin sourire accroché à sa gueule, l’adrénaline déjà bouillonnante dans son corps. Et il s’orienta avec le soleil vers les terres plus hautes. La chaleur matinale lui caressait la peau à travers son poil duveteux.
   
Sur sa route, il passait par les différents cours d’eau déjà traversés auparavant. Beaucoup lui remémoraient de bons souvenirs, le lac, la frontière entre le marais et la vasque … Il sourit, un peu ému. Ses pas se faisaient lents et motivés. Le sol semblait très sec, peut-être un peu trop ? Ce serait un mauvais hiver. Il pesta à sa façon, continuant de marcher longuement.
   
La route lui prit quelques heures tout de même avant d’apercevoir une construction de fortune, quoi qu’organisée un peu plus loin. Alors, Zen s’arrêta pour observer les alentours … Quelques loups. Son cœur frappait sa poitrine et lui tordait le ventre. C’était si excitant d’être loin de chez soi ! Il prit son air le plus naturellement charmeur, rangea son glowstick dans sa petite sacoche, et entreprit de s’approcher l’air de rien. Son odeur risquait de le trahir … Mais il venait en ami, du moins, ce qu’il en pensait.
   
   

Tandis qu’il cherchait comment aborder les choses avec autant d’inconnus qui pourraient potentiellement en vouloir à sa peau, une odeur sucrée bien connue devint de plus en plus forte, couplée à une autre inconnue assez neutre, et une petite truffe se laissa voir. Zen se raidit un peu, se grandissant encore pour chercher à impressionner cette voix.

- Oui, je suis en quête d’aventure.

Le regard dédaigneux du mâle méfiant ne quittait pas du regard l’ombre proche, au cas où. Pas d’odeur clanique, il ne pensait pas tomber sur une solitaire aussi rapidement. Au final une petite louve beige avec un chapeau se montra finalement. Elle lui faisait penser à Désiré.

…

Un peu.


Elle était beaucoup plus petite que lui, plus petite que la moyenne, un air un peu négligé et curieux, un peu bagarreuse sans doute. Mais elle n’avait pas la tête à être une menace. Il était en position de force, pour sûr. Haut les cœurs, Zen afficha finalement un sourire plus mesquin, s’avançant en roulant des mécaniques. C'était le moment de voir jusqu'où son jeu pouvait aller.

- Es-tu seule ?

Elle se montrait froide et prudente, clairement sauvage. Une solitaire, et son attitude répondit d'elle-même à sa question. Aller en hauteur ne devait pas présager de danger, pensait Zen. Il la laissa filer, toujours narquois, et la suivait du regard avec curiosité.

- Oh, l'ennui est un bien petit mot.

Il rit doucement en cachant sa gueule de façon maniérée, et s'assit devant le trône de la louve beige. Son regard vert papillona avant de la fixer dans les yeux, amusé.

- Il est nécessaire de casser un peu la routine, de temps à autre. Trop d'années perdues, je voulais te rencontrer pour ne pas mourir vieux et bête !

Toi ou n'importe qui d'autre qui puisse être intéressant. Son nez souffla, sa queue s'agita un peu dans son dos.

- Faisons connaissance, quel est ton petit nom ?

Toujours faussement enjoleur et nerveux ...

Elle devait être confiante pour se pavaner autant. Tant mieux, le mâle se détendait d'avantage lui aussi. Une discussion entre deux inconnus, et elle semblait être bavarde ! Il n'aurait pas mieux rêvé.

- Principalement pour aider mon prochain.

Et il en était fier !

- Surtout pour les plus faibles, à vrai dire. Enfants et ancêtres. Tout ce qui peut nous sembler banal et habituel ... Ils n'en ont pas la notion ou la mémoire. Mais je préfère l'insouciance des plus jeunes, ils sont plus drôles.

Et ils avaient beaucoup d'énergie, lui qui n'aspirait pas à une activité immobile, il s'en satisfaisait de très loin.

- Mais vois-tu, même si les visages changent beaucoup, même si les personnalités et défis défilent, j'ai préféré partir quelques jours à en solitaire pour voir d'autres loups et d'autres habitudes.

Le gris lui adressa un regard plus malin, était-elle ce qu'il cherchait ? Cette personne qui pourrait le guider vers ces découvertes inconnues qu'il convoitait ?

- Oh, je suis impoli. Zen. Seul et unique.

Il fit une révérence un peu exagérée.

Il était curieux de voir qu'une solitaire qu'il ne connaissait pas encore quelques minutes auparavent l'écoutait autant. Son égo se sentir flatté, et il gonfla un peu plus le buste lorsqu'elle bougea enfin.

Le sang devait lui être monté à la tête ...

Et elle se remit droite, toujours face à cet étranger gris sur ses terres. Avec un intérêt certain, Zen s'assit bien droit, sa posture soignée, pas une patte qui trainait trop en avant. Il lui souriait toujours.

- Nous sommes égoïstes quant à nos frontières. Sauf erreur de ma part, je n'y suis plus, milady.

Et il n'avait jamais aspiré à être menaçant, contrairement à ses pairs Etelkrus. Les gardiens faisaient bien leur job, chacun son métier et les poules seront bien gardées comme on dit ... Ses cils fins et longs battaient le vent.

- Alors, je devrais me sentir menacé par toi, solitaire assoiffée de sang sans vergogne, sans foi, ni loi ...

Sa patte rejoint ironiquement ses lèvres avec un air toujours taquin, sans doute un peu provocateur ; Sa voix se voulait profonde et confidente. Il la gardait tout de même au coin de son oeil vert pâle, malgré qu'elle ne présente pas une menace certaine.

Elle s'approchait doucement ...

Son charme fonctionnait et cela lui plaisait beaucoup de voir qu'il ne laissait pas des inconnus de marbre malgré ses traits de daron. Automatiquement, pour se mettre à sa hauteur voire même en dessous, et ainsi continuer d'entretenir la mise en confiance, il se coucha, croisant ses pattes, mais toujours le cou et la tête bien droits sans la quitter du regard.

Elle l'amusait et il semblait aussi que lui l'amusait, il n'était plus aussi tendu qu'au début et la considérait presque désormais comme une amie de longue date. Mimosa lui semblait intéressante et le profil typique même du solitaire. Rien à voir avec les légendes, à sa grande surprise.

- Quel danger représenterais-tu ?

Un air de défi, un sourire en coin. Non, elle ne sentait pas le sang, la mort ou le danger. Juste une louve sauvage. Elle pointa son baluchon.

- Ca ? Oh ! Des effets personnels. Quelques trucs pour mon voyage vers l'inconnu, veux-tu voir ?

Sans même attendre son avis, il débala un peu tout le bazar qu'il promenait. Juste quelques tissus, grigris, de quoi panser des plaies et se sortir d'une mauvaise situation mineure. A son sens, rien d'impressionnant.

Il continuait de déballer son bordel sans prêter trop attention à la louve, s'évertuant à tout bien classer une fois sorti du baluchon. Il y trouva même quelques biscuits. Mimosa semblait curieuse, et le loup en fut ravis.

- Ouiiiii et non.

Il se redressa sans doute un peu brutalement sous l'effet de la joie, sans perdre sa rencontre du jour du regard.

- Officiellement, je ne m'occupe que des louveteaux et de nos anciens, chez les Etelkrus.

Un travail noble et nécessaire ! Saviez-vous qu'il en était très fier ?

- J'ai été initié à la petite médecine, comme on dit. De quoi soulager les petits maux, temporiser les choses un peu plus importantes.

Et il attrapa un bandage, le tendant vers la louve amicalement.

- Tends ta patte, je vais te montrer.

Qu'il aimait enseigner !

Les choses devenaient de plus en plus naturelle entre les deux loups. Lui proposait le contact, et elle acceptait sans trop rechigner, et semblait même hâtive dans son regard.

- Evidemment~

Et il posa la patte de la petite dame sur la sienne, au passage il l'examina. Etait-ce donc cela, être solitaire ? Avoir des pattes abîmées, des griffes cassées, des micro-plaies partout ? Zen eut un frisson d'effroi. Jamais, Ô grand jamais, il ne souhaitait subir tout ça.

Il était trop précieux pour ce genre de blessures superficielles, quitte à se blesser, autant que ça ait une histoire autre que de l'errance.

- Avant tout, il faut toujours nettoyer la zone. De l'eau claire, attention pas de boue, peut faire l'affaire. Moi, j'ai de quoi désinfecter.

Il prit un jus d'orties, en versant sur les doigts de sa nouvelle amie potentielle.

- Cela évide les abcès. Tu peux en faire facilement, des orties pressées, de l'eau chaude, comme une infusion.

Immédiatement, il massait là où il voyait les petites coupures avec tout le soin du monde, comme il faisait quotidiennement. Une dernière inspection, un sourire satisfait, et il attrapa un bandage.

- Là, regarde bien, c'est un peu plus technique.

Zen luttait contre son enthousiasme électrifiant. Il fit un premier tour du poignet de Mimosa en serrant bien.

- Le premier tour est toujours important, il permet de maintenir la patte en place, ou la compresse en dessous, en cas de blessure ouverte plus importante.

D'une griffe, il mima une coupure plus grande que celles déjà présentes.

Il finit de panser cette patte meurtrie, ravi de pouvoir aider et pratiquer sur un inconnu. Et la louve releva le nez, amusé malgré avoir été ainsi manipulée et immobilisée, mais se stoppa net.

Et elle massacre le dur labeur de Zen, ce dernier plissant le nez, peu content. Le bandage tomba mollement au sol.

Puis, un bruit, qui attira l'attention du loup derrière eux avant même qu'il ne puisse râler.

Et en l'imitant, lui aussi se précipita dans les fourrés pas bien loin, avant de se carapater vite fait bien fait, le coeur palpitant avec l'adrénaline que sa tête produisait.