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 The world I know | Feat. Suète

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MessageSujet: The world I know | Feat. Suète   The world I know | Feat. Suète EmptyJeu 03 Mar 2016, 16:57


Des traces écarlates sur la neige.
De longues traînées de souffrance refoulées, immortalisées dans leur couleur éclatante alors qu'elles gelaient et que tu t'éloignais. Immortalisées dans les courbes que tes pattes on laissées. Cristallisées dans l'air froid d'un hiver mourant, tu en venais à penser qu'elles en était le tribut de ta purge. Loin de toute famille - en avais-tu déjà eu une ?-, loin de toute chaleur, à des kilomètres de toute communauté, ton âme se fondait avec le froid de la saison, mais ton corps lui, suivait de plus en plus difficilement. Quelques articulations douloureuses, les muscles fatigués, les coussinets qui craquellent et saignent sous l'assaut de la glace. Le soldat se fatiguait, bientôt viendrais le temps de se retirer de la guerre. Et à chacun de ses pas, le suivaient comme des parasites, le fardeau de ses souvenirs.

Tache de ténèbres au milieu de l'immaculé, tu avançais sans te presser, ton unique œil valide fixé sur l'horizon. Était-tu insensible à la douleur qui déchirait tes pattes ? Non, bien-sûr que non, mais qu'était-ce comparativement au mal qui te vrillait le crâne ? Peut-être espérait-tu encore te raccrocher à la dernière chose qui te faisait ressentir, alors que tout le reste était parti, disparu, volatilisé. Peut-être espérait-tu te convaincre que même les monstres étaient capables de souffrance. Peut-être, mais rien dans ton visage ne trahissait tes pensées. Froid. Glacial. Tes babines coincées dans un rictus amer étaient bien la dernière chose qui te donnait un semblant d'expression.
Tu aurais autant pu passer pour mort.

Tu avançais, d'une démarche qui aurait semblé sûre à n'importe quelle âme qui vive posant leur regard éphémère sur ta carcasse, mais en réalité tu n'avais aucune idée de l'endroit où tu t'en allais. Tu laissais simplement tes pattes te porter, tandis que ton esprit s'aventurait dans les dangereuses et envoûtantes landes des souvenirs. Tu laissais tes pattes blessées te porter, sans se soucier un instant de la douleur, en essayant de te rappeler. Le regard d'Opale. Le seul et unique regard qui ne t'aie jamais regardé avec chaleur. Avec... amour. Et toi, que lui avais-tu donné en échange ? La souffrance, l'incompréhension, le froid, parce que Lieutenant, tu n'avais jamais su comment aimer. Tu avais longtemps cru qu'elle était comme toi, qu'Opale avais été attirée par les ténèbres. Ce que tu n'avais pas compris, c'est que les ténèbres, Lieutenant, c'était toi.

Tu essais de te rappeler ses prunelles turquoises. Bleues comme l'eau des criques du soleil, tu te souviens avoir pensé.
Tu les vois, au profond de l'imagerie mentale de ton cerveau, tu vois ce regard, mais bien vite, déçu, tu fermera les yeux. Même tes souvenirs les plus intimes, les derniers éclats de lumière dans ta tête menée par tes démons, t'apparaissent maintenant comme obsolètes. Tu cherchais un peu de lumière, un peu de chaleur en ce jour glacial, mais tu n'a rencontré qu'un vide résonnant dans le fond de ton cœur et un goût terriblement amer dans ta bouche.

Tu n’aimais plus Opale depuis longtemps.
Et ça ne te faisais absolument rien. Aucune tristesse, aucune colère. Seulement le vide.

Tu sursauta alors que ton prochain pas rencontra l'air plutôt que le sol. Devant toi une profonde crevasse que les éléments n'avaient pas su remplir de leur larmes. Ton œil descendit lentement le long des parois jusqu'à ce que tu ne voie plus rien. Seulement les abysses, t’appelant avec grâce, avec volupté, t'offrant leurs bras pour te bercer et leur rassurante noirceur pour te rassurer. Tu n'a rien à perdre, te rappelait-elles. Il ne te reste plus rien, pas même l'exclusivité de ressentir tes propres sentiments.
Enfin, un sourire qui n'avait rien de chaleureux illumina ta gueule. Tu détourna la tête et te remis lentement en marche. S'il ne restait plus rien à la vieille peau que tu étais, personne ne pourrait jamais t'enlever ta dignité. Pas même toi.
Si un jour l'ex bêta des Séides devrait mourir, tu espérais que ce serait douloureux, et spectaculaire. Pourquoi quitter ce monde en lâche alors que tu pouvait quitter ce monde en en mettant plein la vue ?
Après tout, on ne tuait pas un vétéran aussi facilement.

L'esprit plein de vent et de rires jaunes, tu contempla la vue de la neige brillant sous les soleil d'hiver, et toute cette brume qui semblait ne jamais vouloir disparaître. Peut-importe si ça brûlait les yeux.
L'esprit plein de vent et de rires jaunes, Lieutenant, tu t'attendais à être seul, mais la rencontre que tu y ferais pourrait peut-être bien te surprendre.
Qui sais.



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MessageSujet: Re: The world I know | Feat. Suète   The world I know | Feat. Suète EmptyMar 08 Mar 2016, 11:43

    Il faisait beau, ce matin.
    C'était peut-être la dernière des habitudes qu'il restait à Suète, ces promenades matinales. A vrai dire, c'était la seule habitude qu'elle avait, la seule réminiscence de son existence d'avant qu'elle avait emportée après avoir quitté les Brethen. Une habitude qui, comme un arbre voué à devenir centenaire, avait grandi, forci et étendu ses racines dans les tréfonds de son existence : désormais, toutes les heures qu'elle ne passait pas à manger, chasser, se reposer ou s'entraîner, la guerrière les dépensait en marches infinies à travers le pays, qu'elle commençait désormais à bien connaître. Si, du temps où elle guidait les Brethen, ces ballades étaient son exutoire, son existence était désormais un exutoire perpétuel, une méditation et une introspection solitaire constante. Elle se sentait comme un religieux reclus dans le temple de son esprit, à mille lieues des préoccupations matérielles et naturelles qui l'avaient animées jadis.

    Nombreux étaient les dilemmes jamais résolus, les culpabilités et les erreurs qu'elle regrettait. Nombreuses étaient ces pensées qui avaient été parasites et qui désormais bénéficiaient de sa plus complète attention. Nombreux ces questionnements qu'elles jugeait chronophages, autrefois. Entre autres, résonnaient à l'infini dans son encéphale les cris de douleur de Zerfall, qu'elle avait massacré sans procès pour assouvir sa vengeance personnelle, sans même connaître son nom. Si ce n'en était pas la seule raison, cette connerie de plus avait fait déborder le vase bien trop plein de ce qui faisait qu'elle n'était et ne pourrait jamais être en paix avec sa conscience ; qui était-elle pour diriger un peuple juste et droit alors qu'elle avait agi arbitrairement ? De quel droit l'avait-elle assassiné, alors que même le valeureux et fier Khal avait eu la décence de faire prisonnier sa consœur ? De cet état de fait, assurer sa propre succession à la tête du clan alors qu'elle n'incarnait plus les valeurs qu'elle avait jadis défendues relevait de l'évidence.

    Ainsi elle progressait dans la neige de cette matinée hivernale, sans objectif précis, jouissant simplement du contraste entre la douloureuse gerçure de ses coussinets et la douce chaleur des rayons du soleil le long de son échine. Suète aimait ces sensations simples, viscérales et ancestrales, ces contacts animaux avec le monde extérieur qui la faisaient se sentir vivante. C'était assez paradoxal, mais ça résumait à la perfection sa situation : recluse dans son monastère de solitude, ne gardant contact avec le monde réel que par les biais les plus primitifs qu'étaient ses ressentis sensoriels. Elle était bien loin, la guerrière oratrice qui se dressait pour son clan. Toujours présente, toujours en elle, mais endormie sous la surface.

    Une odeur familière et métallique parvint aux narines de la louve rouge. Du sang, quelqu'un ou quelque chose avait perdu du sang sur la neige. Guidée par la fragrance, la pisteuse hors pair qu'elle était - même si, en toute honnêteté, de bons yeux auraient suffi - découvrit bientôt un sentier tâché de rouge, comme dessiné par un Petit Poucet macabre dans la poudreuse. Curieuse, la solitaire suivit ce chemin jusqu'à voir se découper dans le lointain une figure, qu'elle pensa au premier regard ne pas connaître.

    Puis se réveillèrent au fond d'elle des souvenirs ancestraux, plus loin que les Precursors, plus loin que les Brethen, plus loin que leur fuite solitaire à travers le pays. Un être froid qu'elle n'avait jamais réellement apprécié, calculateur et en qui elle n'avait jamais eu réellement confiance tant ses choix ne semblaient dictés que par son propre intérêt. Un Richelieu descendu de son trône, qui aurait pu lui être comparable s'il n'en avait pas été éjecté. Un grand vizir autrefois rêvant du trône d'alpha, aujourd'hui devenu pauvre hère, vieux et maigre, traînant ses pattes gelées et ses coussinets craquelés sur une glace qu'il tâchait de son sang.
    Jamais il n'avait si bien porté son nom.

    — Lieutenant.


Dernière édition par Innuendo le Mar 05 Avr 2016, 20:36, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: The world I know | Feat. Suète   The world I know | Feat. Suète EmptySam 19 Mar 2016, 20:28

« Lieutenant ».
Dès les premières secondes où cette voix retentit derrière toi, quelque chose te disait que tu la connaissais. Une étincelle bien mince, un vestige de souvenirs, une épave de morceau de mémoire.
Cette intonation. Ce ton posé. Ce calme dans les vibrations qui agitaient ta cochlée de microscopiques soubresauts. Où l'avait tu entendu, déjà ?
Tu ne savais pas encore pourquoi mais un vague goût amer se répandit sur ta langue. Le même goût que tu trouvais autrefois dans ta gueule après une dispute avec Opale, une réprimande injustifiée de Raw, un stupide membre de la meute se croyant bien intelligent à te poser des questions idiotes ou le regard faible et fainéant des Omégas lorsque tu passais devant eux et qu'ils pliaient l'échine.
Un irritant.
Pourtant, tu n'arrivais toujours pas à placer un visage sur cette voix familière.

Même si l'âge faisait son œuvre sur ton visage, parsemant quelques poils argentés sur ta gueule et tou cou sombre et que la dure vie des solitaires creusait tes côtes, rien au monde n'aurait pu t'enlever ta droiture militaire, cette posture raide et intransigeante qui t'avais été propre depuis aussi longtemps que tu ne te souvienne. La tête droite, le corps sans un seul frémissement, le vent hivernal sembla faire écho à ton silence, agitant ton écharpe délabrée à un point qu'elle semblait vouloir s'échapper, quitter la chaleur de ta peau et faire ses valises pour un endroit que seule une vieille écharpe de ce genre détienne le secret. Une crevasse dan le fond d'un ravin gelé. Un nid d'aigles. Pourquoi pas le domicile des Dieux lui-même.

Soudain, une pluie de souvenirs abonda dans ton esprit, avec la même force et la même rapidité qu'un barrage cédant sous la pression de l'eau. Discours. Rébellion. Violence. Glowsticks brisés. Folie. Hiver interminable et cruel. Chasse aux loups.
Brethens.

- Suète.

Se dressait derrière toi le Bison Rouge, autrefois -où peut-être était-ce encore le cas ?- à la tête de l'insubordination qui avait secoué les Séides il y a de cela bien des années. Cela te revenait maintenant. Le goût amer. L'irritation. Toi qui avait toujours détesté le désordre, la rébellion des Brethens avait été une vraie insulte à l'ordre des choses, à ce que les Dieux avaient voulu. Tu étais jeune. Tout ce qui t'importais, c'était de plaire aux alphas pour un jour régner.
Maintenant tout ça te paraissait tellement loin derrière. Une éternité... Une vraie éternité.

L'amertume avait pour une fois laissé place à la curiosité dans ton cerveau fatigué. L'odeur des Brethens la suivait encore, mais très faiblement. Était-elle toujours l'une des leurs ?
Probablement pas.
L'ironie était palpable dans cette rencontre après tout décidée par le hasard. Le vieux lieutenant loin de sa meute depuis fort longtemps, la rebelle délaissant ce qu'elle avait construit pour la sordide vie seule avec soi-même. Les deux grandes personnalités autrefois adverses se retrouvant, pour la toute première fois, d'égal à égal.
Sous la même bannière des êtres volants de leurs propres ailes, qu'elles soient rouges comme le sang ou calcinées comme le charbon.

Tu tourna lentement la tête vers elle dans un mouvement doux, du côté de ton œil valide. Dans tes paroles, aucune animosité. Seule une pointe de curiosité et la même lassitude qui te suivait désormais depuis fort longtemps, fidèle à elle-même :

- Cela faisait longtemps. Bison Rouge.
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MessageSujet: Re: The world I know | Feat. Suète   The world I know | Feat. Suète EmptyMer 06 Avr 2016, 16:02

    — Suète.

    Qu'il avait vieilli.

    Ce fut la première chose qui frappa Suète quand son compatriote se tourna vers elle. Ce n'était pas tant que les méfaits de l'âge étaient palpables sur le guerrier ; quelques poils blancs, les membres qui s'amaigrissaient à mesure que la masse musculaire diminuait, les côtes qui saillaient et le dos qui se creusait, quoi de plus légitime C'était davantage cette lueur dans son regard, cette fatigue qui se dégageait de lui, ce ton las qui rendaient perceptibles à la guerrière les nombreuses années écoulées depuis leur dernière rencontre. Le mot rencontre était un vaste mot, d'ailleurs : jamais ils n'avaient réellement échangé. Ils s'étaient croisés, de nombreuses années, lui le gradé, elle la soldate, et durant les trois années que la louve rouge avait passées chez les Séides, leurs rapports s'étaient limités à cette relation de dominance.

    Et maintenant, c'était lui le vieillard qui saignait dans la neige.

    Suète n'avait plus de rancœur en elle à l'égard des séides depuis bien longtemps, et n'avait de toute façon jamais eu de compte à régler avec Lieutenant. Le fait qu'il se trouve désormais en position de faiblesse, vieilli, enfonçant ses pattes blessées dans la neige ne soulevait ni sentiment de victoire revancharde ni sensation de pitié. Qui qu'il ait jamais été pour elle, ne subsistait à ses yeux qu'un piètre vieillard déchu de sa position, l'écharpe déchirée, ne conservant de sa splendeur passée que ce regard glacial et vrillant.

    Cela faisait longtemps. Bison Rouge.

    Effectivement, ça faisait longtemps.
    La guerrière s'interrogea momentanément sur la marche à suivre. Peut-être devait-elle mettre maintenant un terme à la conversation ? Elle n'avait après tout rien en commun avec Lieutenant, et leurs chemins divergeaient depuis des lustres. Mais elle était curieuse de savoir ce qui l'amenait ici, ce qu'il était devenu, tout ce qui s'était passé depuis. Car elle ne gardait pas de lui le souvenir d'un Bêta fidèle à son Alpha. Et puis, cela faisait plusieurs jours qu'elle n'avait adressé la parole à personne.

    C'est vrai. Tu n'es plus séide ?
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MessageSujet: Re: The world I know | Feat. Suète   The world I know | Feat. Suète EmptyJeu 28 Avr 2016, 02:42

« C'est vrai. Tu n'es plus séide ? »
« Et toi de façon évidente tu n'es plus Brethen », avais-tu envie d'ajouter sèchement. La phrase te brûlait les lèvres, on y aperçu même un léger tremblement, juste là sur tes babines rousses, mais tu te retins. Ta tête pencha vers le bas lorsque tu te détourna d'elle de quelques centimètres, les paupières momentanément crispées sur un œil qui n'avait pas envie de voir. Ton écharpe battait de l'aile dans le vent glacial de l'hiver, son claquement froissé de vieux tissu se battant avec les éléments en guise de seule réponse...

Suète. Fantôme de grenat resurgissant soudainement, apportant avec elle des souvenirs que tu croyais enfouis depuis longtemps sous l'épaisse glace de ton esprit, glace que tu avait volontairement épaissie, refroidie chaque jour dans le mince espoir que l'oubli te rendrait grâce. Et maintenant, elle était là, fissurant sans peine cette glace que tu croyais intouchable pour faire remonter, tel le flot rugissant de la crue d'une rivière, de nombreux visages de loups désormais sans nom, des bribes de conversation, des regards, de nombreuses invectives, des coups de crocs. Tes sourires cruels alors que tu savourait l'abysse dans les yeux de ceux qui se brisaient sous les cauchemars que tu leur imposaient. Des amis perdus. Des vies envolées. Des ennemis remémorés.

Des amours gâchés.


Tu rouvris les yeux, le regard las. Pourquoi maintenant ? Pourquoi tout te revenait maintenant ? Il te semblait qu'il s'agissait d'une autre vie. Qu'entre ta misérable vie de solitaire et tes glorieuses années chez les séides, il s'était passé des millénaires. Des centaines de milliers de vies. Et elle, simple soldate à qui tu n'avais jamais vraiment prêté attention, avait croisé ton sombre chemin dans la neige. Apportant avec elle les vestiges poussiéreux d'une autre époque, qui ne cherchaient qu'à retrouver la lumière.
Autant de sentiments contradictoires t'assaillaient. La partie de toi la plus sombre te hurlait de couper à l'instant cette conversation et de t'éloigner le plus loin possible, de fuir cette vérité que tu fuyais depuis des lustres, de fuir ton passé et de ne jamais te retourner. Mais il y avait cette étincelle. Cette petite luciole, qui bien que couverte de ténèbres poisseuses, cherchait de toutes ses forces à briller. L'ébauche d'un brin de curiosité envers cette louve qui jadis avait été ton adversaire indirect lors de la Rébellion. Une petite envie de chercher un moyen d'enfin avoir la paix et de faire taire le monstre qui grondait à l'intérieur. Accepter pour de bon ce que tu te ressassais chaque jours:

Tu vieillissais. Bientôt, tu deviendrais le cadavre que tu t'amusait à toiser avec supériorité. Bientôt, la maladie ou le froid l'emporterait sur la chair, et malgré toute la détermination et la rigidité, le déni que tu pourrait trouver au fond de ton âme, tu n'y pourrais rien. Bientôt, tu ne seras que poussière.
Et qu'avais donc été ta vie ? Un ramassis de grosses conneries, de déceptions, de ténèbres et de souffrance que tu t'infligeais et que tu avais infligées.
Une belle et longue vie de néant.
Sans aucun but qui en vaille la peine d'être poursuivi.

Soudain, la compagnie de Suète te paru bien. Très bien, même. Presque agréable. Pourquoi lutter encore alors qu'il n'y avais plus rien pour quoi se battre ? Un peu de compagnie au travers ces glaciales années de solitude ne ferraient de mal à personne.
Tu te tourna enfin vers elle, ton regard de vieux borgne la toisant avec le calme froid du guerrier qui sait qu'il n'a plus rien à perdre.

- Non. Depuis des lustres. J'imagine que j'ai fini par me lasser de l'agitation des meutes. Après tout nous ne sommes jamais mieux servi que par nous-mêmes. J'ai préféré devenir mon propre bourreau entre temps, c'est beaucoup plus intéressant
, tu ajouta avec un demi sourire. Tu insinuait là la dure vie de solitaire que tu t'étais imposée et la sale réputation de tyran que tu avais anciennement, mais tes paroles n'étaient pas très loin de la vérité, tout compte fait.

Tu t'assis dans la neige doucement. Tes pattes te faisaient souffrir - moins des coupures que de tes vieilles articulations qui criaient grâce - et repris dans un souffle, envoyant quelques volutes de vapeur dans l'air gelé:

- Et toi. Je suppose que tu n'es plus Brethen.
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MessageSujet: Re: The world I know | Feat. Suète   The world I know | Feat. Suète EmptyVen 13 Mai 2016, 13:38

    — Non. Depuis des lustres. J'imagine que j'ai fini par me lasser de l'agitation des meutes. Après tout nous ne sommes jamais mieux servi que par nous-mêmes. J'ai préféré devenir mon propre bourreau entre temps, c'est beaucoup plus intéressant.

    Lieutenant avait adopté un étrange ton pompeux que Suète ne lui connaissait pas. Peut-être l'avait-il toujours eu ? C'était si loin, après tout. Elle était si jeune et égoïste à l'époque, et n'avait jamais prêté plus d'attention qu'il n'en fallait à ce Bêta frustré qui se rêvait roi. Souvent, elle se demandait si ses rêves de liberté et de justice n'avaient pas relevé, à l'époque, de la satisfaction personnelle plus que d'un réel désir de bien commun et de bonheur partagé. Quelle importance maintenant que ses muscles grinçaient et que la meute qu'elle avait guidée pendant des années se trouvait à mille lieues derrière elle ? Quelle importance, maintenant qu'elle parlait à une relique du passé qui se tenait là, dans le froid ?

    Bien que la forme du message l'ait vaguement interpelée, elle se retrouvait dans le fond. Elle aussi s'était lassée du tumulte du Conseil. Plus que ça, elle avait découvert ce qui s'était longtemps imposé comme une perspective inatteignable : sa propre faillibilité. Par effet Pygmalion, sa propre immunité à l'erreur, à l'abus et aux émotions destructrices lui avait semblé évidente : elle ne pouvait être atteinte par ces douleurs bassement animales, par ces pulsions de mort et de destruction. Elle, le paladin de lumière, elle, droite et juste, icône d'une rébellion, elle dont on chantait les louanges.

    Elle qui avait réduit en pièces de sang froid un être faible.

    C'était avant tout pour cela qu'elle avait renoncé aux Brethen.

    — Et toi. Je suppose que tu n'es plus Brethen.

    Suète marqua une pause.
    Elle avait assuré sa succession et n'avait pour cela aucun remord. Quel bon dirigeant qui se prétend démocratique reste assis jusqu'à sa mort sur le même trône ? Le pouvoir ne l'avait jamais attiré, et la guerrière qu'elle était avait sans peine laissé sa place, aspirant à cette retraite et ce repos que seul l'isolement avait pu lui procurer.

    — J'ai passé le flambeau. Je commençais à fatiguer.

    La louve marqua une pause.

    — Que fais-tu ici ?
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MessageSujet: Re: The world I know | Feat. Suète   The world I know | Feat. Suète EmptyMar 14 Juin 2016, 21:26

Un pincement, un tremblement de nuit au fond du cœur.
Quiconque aurait prêté attention à ton visage l'aurait vu; ces ténèbres grandissantes dans la profondeur de ton œil. Cette immense et profonde tristesse d'avoir laissé ta vie aller sans ne jamais rien faire pour essayer d'y suspendre le temps, un baiser, un battement de cœur dédié à autrui, le bonheur simple de vivre sans ne profiter à tort de rien ni de personne. Sans n'y être jamais arrivé, et même aujourd'hui... Se battre entre deux sentiments contradictoires, l'envie de tout abandonner, jusqu'à la vie elle-même, parce que tu ne te sentais pas la force ni la volonté d'améliorer ton sort. Être assis là, dans la neige, à discuter avec cette antagoniste qui avait toujours été tout le contraire de toi, cette femelle que tu aurais pris grand plaisir à écraser entre tes pattes il y a une vie de cela ... Quelque chose détonnait dans l'air. Étais-tu en train de délirer ? Te réveillerais-tu, un beau matin, chez les Séides, encore fier, encore droit, avec cette passion militaire du carnage, le même goût du sang, le même goût de la terreur ?
Tu savais bien que non. Même ton cerveau des plus pervers n'aurait su inventer de lui-même la souffrance que tu ressentais. La brûlure de la neige sur ta peau meurtrie. Le froid qui ankylose et qui engourdi l'âme.
La souffrance d'être là, de te savoir démon, et de ressentir le vide impuissant que ce savoir créait en toi. Une partie de toi te disait : « et alors ? Qu'est-ce que t'en as à foutre au fond ?». Mais l'autre savait pertinemment que tu n'en avais pas rien à foutre.

Ta vie n'avait été qu'un beau bordel, et toi, tu restais assis là, couard, sans nul courage ni envie de tout repartir à zéro. D'aller retrouver Opale et de lui quémander pardon. De vieillir en ayant accompli au moins une chose de bien. De retrouver Maât et de lui demander pardon de l'avoir abandonnée. De te laisser crever sous les crocs de ceux que tu avais martyrisé durant toutes ces années, en guise de mince justice en réponse à tout ce que tu avais fait.

Tu aurais pu rester longtemps là, dans le silence, le nez dans le froid, grelottant de toutes part en attente d'une fin qui ne voulait pas venir. La voix de Suète ne t'arrivais aux oreilles que dans un vague grondement étouffé, comme lorsque l'on a les deux oreilles plongées dans l'eau. Perdu dans tes pensées, dans ta détresse, dans ton mal qu'au fond tu savais bien mérité. Il te prit un long moment avant de répondre.

Ton regard de glace qui remonta vers celui, couleur du feu et du sang, de celle qui t'avais trouvé dans le froid se teinta un instant de ténèbres. Le sourire que tu lui avais adressé plus tôt n'avait plus laissé aucune trace sur tes lèvres fatiguées. Restait une expression de profonde solitude, une expression que seul les vieux loups solitaires et pleins de regrets connaissaient. Tu baissa la tête, et dans un souffle, murmura:

- À vrai dire, je ne sais plus. Peut-être ne suis-je qu'en quête de rédemption.
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