Nouvelle vie (Anthem)

Les choses allaient à la fois extrêmement vite et extrêmement lentement ces derniers temps.
Il avait l'impression qu'une vague d'événements et de choses se passaient, et en même temps l'état des terres et des loups malades stagnait à un point désolant. Il n'aurait sans doute que peu aimer avoir le dur rôle de Savant en ce moment. Il fallait être aveugle pour ne pas remarquer à tout instant leurs mines inquiètes, leurs échanges à voix basse ou la fatigue qui emplissait leurs yeux. Il avait, par un étrange hasard du destin, croisé sa petite-fille Maisie alors que celle-ci venait de mettre bas, et cet épuisement marquant son visage encore si jeune lui avait sauté à la figure. Il ne savait pas combien de temps la meute tiendrait à cette cadence. Et ces plantes qui devenaient de plus en plus nombreuses, de plus en plus féroces, condamnant l'accès de pans entiers de leur territoire. Un jour, il s'était brièvement demandé s'il valait la peine d'avoir tant vécu si c'était pour finir sa vie avec cette vision de son monde déchiré. Puis une autre pensée était venue supplanter celle-ci. Son monde avait une autre définition désormais, qui était pour lui tout aussi vitale. Il avait posé les yeux sur la silhouette de sa compagne endormie près de lui. Sans qui il n'aurait sans doute jamais retrouvé de véritable raison de vivre. Depuis la dernière fois qu'elle avait eu une véritable crise de déprime - et ce qui s'était ensuivi - son état semblait meilleur. Elle était bien plus sereine que lors de sa première grossesse. Il la trouvait plus belle aussi. Le sourire allait mieux à son visage aux traits doux que les pleurs et le chagrin.

Il l'avait senti quitter la tanière de bon matin et, ne pouvant se résoudre à se rendormir, s'était lui aussi décidé pour une promenade alors que le ciel s'éclaircissait doucement. Les jours se raccourcissaient et le soleil mettait chaque matin un peu plus de temps avant de montrer sa lumière à l'horizon. Mais cela n'étai pas pour lui déplaire. Les ombres étaient, à bien des égards, ses alliées plutôt que ses ennemies. Il voulait surtout veiller à ce que rien ne lui arrive dans cette expédition solitaire. Les Savants, qui l'avaient rapidement auscultée, avaient dit que le terme était proche. Qu'il ne fallait pas commettre de folie, surtout avec la maladie qui traînait un peu partout. Son regard s'assombrit lorsqu'il constata qu'ils s'éloignaient véritablement de la Jeune Cordillère pour se diriger vers l'une des côtes de l'Île. Pas sa favorite, il fallait l'avouer. Peu à peu, la terre se durcit sous ses pattes et les touffes d'herbe cédèrent la place à une épaisseur de neige crissante et gelée. Un frisson lui parcourut l'échine, mais son visage resta de marbre. Depuis tut petit, il avait toujours été plus sensible au froid que les autres loups. Il aimait la tranquillité de l'hiver mais savait que son approche signifiait aussi qu'il allait devoir endurer cette espèce de souffrance permanente que lui imposaient les plus fraîches températures. Enfin. Il en fallait tout de même plus que cela pour le décourager.

Il y eut soudain un grondement puissant plus loin devant, qui lui fit accélérer l'allure, le coeur battant. Déjà une douleur sourde lui vrillait les poumons à inspirer cet air glacial. Mais peu importait. Il arriva soudainement au bord de la banquise, sous laquelle s'agitait la mer. Une grosse partie venait de s'en décrocher et dérivait déjà en un lourd iceberg. Fort heureusement, Plume Blanche ne semblait pas être dans ses environs proches. Il soupir de soulagement et, soudain, un crissement dans la neige lui fit tourner la tête. Effectivement, il n'avait pas songé qu'en parcourant ainsi le reste de distance en courant, il entrerait sans douter dans le champ de vision de sa compagne. Elle e sembla pas lui en vouloir et vint se blottir contre lui, chose pour laquelle il lui fut plus que reconnaissante. Son contact chaleureux était un oasis au milieu de ce désert de neige et de blizzard.

Toutefois, avant qu'il n'aie pu répondre à sa question, une expression surprise se peignit sur son museau et elle lui lança tout de go que... Le travail commençait. Quoi ? Ici ? Il rabattit les oreilles et hocha la tête. D'un geste presque automatique, il déblaya un coin de neige, laissant apparaître la terre gelée, pour que sa compagne puisse s'y étendre. Le vent souffla plus fort à leurs oreilles, comme s'il sentait lui aussi que quelque-chose se préparait. L'anthracite hésita un instant, puis vont se coucher le long de sa compagne pour la maintenir au chaud. Surveillant d'un oeil ce qui se pasait à l'arrière, il passa un coup de langue sur son front et murmura :

"Ca va aller. Tu l'as déjà fait, tout va se passer à merveille."