Play with me, Daddy? / Anthem

Il avait veillé une bonne partie de la nuit, et ne s'était endormi que lorsque le matin était venu.
Il avait été officiellement annoncé que les malades seraient déplacés en cellules individuelles durant la nuit, et que durant les jours suivants, les Savants quitteraient la Mine - ils n'y étaient plus utiles désormais - pour laisser la garde des mutants aux gardiens et soldats. Anthem faisait partie des loups portant ce rang, aussi savait-il qu'il devrait demeurer là-bas sans relâche et sous peu de temps. Lorsque la nuit était tombée et que la petite famille - Plume Blanche, Aora et lui-même, puisque les autres étaient depuis longtemps suffisamment grands pour avoir leur propre tanière et ne passaient plus la nuit avec eux - s'était couchée dans leur tanière, il n'était pas parvenu à trouver le sommeil. Devenait-il sentimental, durant cette dernière nuit passée près des siens ? Non, non, il ne ressentait pas de tristesse à la vision de sa compagne endormie et de la petite boule de poils claire blottie contre lui. Sa famille était une sorte de cocon protecteur, qu'il avait peu à peu construit et sur lequel il avait veillé. Même les plus grands de ses enfants constituaient toujours ce vaste cercle dans son coeur. Il avait d'ailleurs appris que Nout serait de garde elle aussi après des mutants. Mais Plume Blanche et Aora n'auraient pas le droit de s'y rendre. Le danger était trop grand, même si cela n'avait pas été déconseillé par les hautes instance,s il leur aurait demandé de toute manière. Les plantes lui avaient déjà pris une fille, c'était amplement suffisant.

Ses pensées avaient virevolté vers Romance et sa vie passée une bonne partie de la nuit, teintant ses prunelles entrouvertes de lueurs tristes. Finalement, il avait sombré dans une somnolence légère vers le lever du jour, alors que Plume Blanche quittait la tanière, puis Aora un peu plus tard. Le temps était gris ce jour-là, aussi n'avait-il pas su dire combien de temps il avait dormi lorsqu'il sortit de la tanière. Pas très longtemps sans doute car la journée s'écoula avec lenteur, alors qu'ils recevaient leurs instructions, les rumeurs sur l'état des malades s'amplifiant, et qu'il était finalement envoyé en forêt chercher la sacoche qu'un guérisseur un peu trop effarouché par la nouvelle flore de l'île avait laissé sur le chemin de sa fuite. Quand il était rentré au camp, il s'était enquit de l'endroit où se trouvait Aora et... personne n'avait su lui répondre. Avec Everbloom, les soucis d'ordinaire de premier plan étaient souvent relégués au second et malheureusement, la disparition d'un louveteau était camouflée par tout ce qui se disait sur les expéditions menées et les malades qui mutaient.

Heureusement, l'anthracite tomba assez facilement sur la piste de la petite et retrouva sans difficultés sa trace. Il eut une frayeur soudaine lorsqu'elle passa près d'un lieu contaminé, mais finalement ses traces menaient aux Criques du Soleil. Le risque plantu était à éliminer, c'était déjà ça. Son regard attrapa la petite silhouette de neige et d'or qui pataugeait joyeusement dans les vaguelettes lorsqu'il s'engagea sur le sable. Il poussa un jappement léger pour signaler sa présence, ce qui eut pour conséquence de faire tomber de surprise la petite dans l'eau. Dégoulinante, elle se redressa aussitôt pour se tourner vers lui, de l'eau jusqu'à son petit ventre de louveteau. Il ne lui fallut pas longtemps pour la rejoindre et il la gratifia d'un petit coup de museau sur l'épaule.

"Depuis quand as-tu le droit de te promener seule toi ?" lança-t-il, sans animosité mais avec une once d'autorité tout de même.

La petite prit un air coupable lorsqu'il lui lança sa réflexion, air qui aurait fait craquer à peu près n'importe quel adulte. L'anthracite se fit la réflexion qu'elle était bien plus douce et facile à éduquer que certains des loups de la première portée qu'il avait eue - ceux de Mâat y compris. Il se souvenait des pseudo disputes qu'il faisait à Amon jeune, ce dernier ne voyant souvent pas vraiment où se situait le fait qu'il n'avait pas le droit de faire telle ou telle chose, tout lui paraissant naturel comme réaction dans sa logique à lui. Mais avant qu'Anthem n'aie pu répondre quoi que ce soit pour clore cette partie de la discussion, sa fille enchaîna sur une ribambelles de mots et de questions qui s'enchaînaient sans arrêt, alors que ses yeux dorés brillaient d'un éclat curieux et joueur. Son père attendit qu'elle termine, le regard bicolore accroché à sa petite silhouette. Ses remarques étaient presque déconcertantes, tant elle passait de la joie la plus totale à un sérieux complet, la mine préoccupée. Et lui la contemplait avec affection, tout simplement.

"Yurai ne se montre pas aux mortels ici." Répondit-il, prenant le parti de répondre à ses interrogations à peu près dans l'ordre das lequel elle les avait posées - et dont il se souvenait. "Mais dans son Temple, au milieu de la Forêt Pluviale. On ne peut pas y aller pour l'instant à cause des plantes géantes, hélas."

Il espérait qu'Everboom soit enrayé une bonne fois pour toutes et que sa fille puisse avoir la joie de découvrir les beautés des territoires du continent. Celui-ci, avec sa forêt dense et ses cascades qui semblaient tomber du ciel, était particulièrement majestueux. La déesse de la sagesse savait impressionner avant même que l'on ne soit arrivé à elle.

"Nous allons bientôt trouver une solution pour régler ce problème, même si nous en ignorons encore l'origine." Répondit-il avec l'ombre d'un sourire, d'un ton si convaincant qu'il se surprit lui-même à y croire autant. "Et je pourrais t'emmener faire le tour de toutes les terres depuis les montagnes jusqu'à la mer qui est de l'autre côté."

Il ignorait complètement si cela se réaliserait, mais il le souhaitait très fort, bien-sûr. Cependant, alors que les lunes s'écoulaient et que leur avancée sur Everbloom était si faible, il voyait une autre ombre venir noircir le tableau : il se demandait parfois si son existence serait assez longue pour qu'il puisse contempler une dernière fois les terres vierge de toute jungle parasite. Fort heureusement, la Jeune Cordillière n'avait pas vraiment été touchée, et la froide majesté des montagnes qu'il affectionnait tant était encore intacte. Ce serait toutefois un bien maigre réconfort.

La petite louve lui tendit la fleur, et il l'accepta avec un doux remerciement. D'un geste de la patte, il la mit dans ses cheveux, sa couleur même légèrement décolorée par le temps et l'assèchement ressortant parfaitement sur la neige de ses longues mèches.

"Je te remercie, elle est très jolie."

La question qu'elle avait posée juste avant avaient fait remonter des préoccupations qu'il croyait enterrées. Plume Blanche était à nouveau triste ? Il s'efforçait pourtant tant de veiller sur elle, surtout depuis ces lunes sombres où il avait cru la perdre dans une cyique répétition de l'histoire. Mais finalement, Aora était arrivée et elle avait retrouvé - du moins, c'est ce qu'il croyait - sa joie de vivre. Une ombre passa dans son regard quand il réalisa soudainement que peut-être était à cause de lui. A cause de ce crépuscule qu'il sentait arriver dans ses pattes qui se courbaturaient plus vite, dans on regard où l'on pouvait lire tout le poids des ans qu'il avait traversés. Mais comment lui en parler ? C'était peut-être plus difficile encore, car il ne pouvait pas la consoler complètement. ce qui devait arriver arriverait, immanquablement. Parce qu'ainsi était faite la vie. Il s'accorda quelques secondes de silence avant de répondre :

"Tout le monde a des pensées tristes parfois, surtout les grands." Puis il adressa un sourire à la petite silhouette claire. "Je compte sur toi pour lui redonner le sourire avec un câlin quand nous rentrerons."

Les plus petites joies de la vie pouvaient parfois suffire à apporter un vent de bonne humeur, comme une toute petite lumière qui éclairerait de bien plus grandes ténèbres.