Heart of darkness — Ao

Les temps devenaient plus sombres.

Punk Wolf se noyait doucement dans les ténèbres, en particulier les Lazulis. Un nuage de brume s’échappa de la gueule de Mozarthamès, qui avançait progressivement vers un lieu qu’il aurait préféré ne jamais revoir. L’eau gelait ses pattes, mais cela lui permettait de se maintenir éveiller, être sûr qu’il ne s’agissait pas d’un terrible cauchemar. Qui aurait cru, que lui se rendrait de nouveau jusqu’ici ? En ces lieux empoissonnés par le mensonge et la tromperie ? Le Lazulis en aurait presque vomi. Sa simple présence ici le révulsait. Savoir qu’elle vivait ici le dégoutait. Ses yeux verts étudièrent les ruines de la statue, avec la plus totale des indifférences. Ne l’avait-elle pas cherché après tout ?

« — C’est ironique n’est-ce pas ? »

Les griffes du loup effleurèrent quelques morceaux de roches.

« — Votre propre prêtre s’est retourné contre vous… Semant le chaos et la destruction dans ce qui lui servait autrefois de refuge. »

Quelle stupidité Avalon ! Pensait-il réellement retrouver la vue en détruisant le temple ? Vaniteux enfant, comme si les dieux se souciaient de ses petits tracas. Comme si la mort de son père les importait. Lieutenant et lui n’étaient que des morceaux de viande, destinés à servir. Mozarthamès retroussa les babines en songeant aux autres parias, des enfants et des adolescents. Leur survie était clairement assurée ! La patte du reclus tapa violemment dans l’un des débris de la statue de la dragonne. Qu’ils aillent tous en enfers, eux et leur stupide révolte ! Eux qui avaient renoncé suite à leurs défaites, eux qui n’avaient pas su défendre suffisamment leurs convictions ! Un soupir s’échappa de la gueule du païen.

« — Ce n’est pas ce à quoi je pensais en reniant les dieux, imposer à d’autres mon propre choix. Mido et Moiro ne représentent rien à mes yeux, la seule qui m’intéresse c’est vous, Ao. C’est avec la dragonne que je dois régler mes comptes, uniquement elle. »

C’était elle, qui lui fallait détruire. C’était la dragonne qui devait payer, pas ses frères, quand bien même ils étaient aussi fourbes. Mozarthamès se redressa, parlant dans le vide en l’absence de la présence de statue. Ses traits conservaient cet air sûr, même si ses yeux trahissaient son doute. Ce qu’il allait faire… en provoquant un peu plus la dragonne… pourrait signifier son arrêt de mort. Faire de lui définitivement ce paria que tous voyaient en lui, souiller jamais son nom. Mais au moins, cela ne ternirait pas celui de sa famille, ni de Serket. Mo’ serait le mouton noir, mais sa soeur conservait sa blancheur, car elle n’avait pas à payer de le prix de ses péchés.

« — Je suis le dernier Ao. Le dernier loup à maintenir la barrière car je vous hais, les autres ne sont que des enfants, ils ne comprennent pas. »

Comprendraient-ils un jour ?

« — Alors, Divinité, si nous finissions ce qui a été commencé ?   Si vous me punissiez, moi, votre traître de disciple pour libérer tous les autres ? »

Il était temps n’est-ce pas, d’achever ce travail commencé si tôt ? Cette tâche que tu t’étais imposé depuis fort longtemps. Un court instant tu fus le disciple de la Dragonne, elle qui, t'avait infligé la vision de la mort de Neït, mais pour autant, répondrait-elle à ton appel alors que tu avais bafoué sa confiance ?

C'est un dragon, qui se manifesta depuis le vide.
Ao.

Elle n'avait que des traits tirés, sur son visage reptilien, et un museau relevé pour l'observer. La Dragonne était longue, immense, faite des méandres comme ceux du fleuve chantant traversant les terres.  Un souffle sec s'échappa des narines de la créature.

"Sots que vous êtes. Que tu es."

Elle se redressa finalement, prenant toute sa hauteur.

"Les dons viennent avec leurs revers, c'est un fait. Il a toujours été là pour instaurer un équilibre, tout comme les divinités ne peuvent se surpasser les unes les autres. Si tu ne peux accepter que Vivaldi ai pris un glowstick en pleine connaissance de cause, ou que je ne puis contrôler les actions des pirates ; alors tu n'as rien compris à mes valeurs."

Renâclant à nouveau, le dragon rapetissa petit à petit jusqu'à faire face d'une taille relativement égale bien qu'encore dominante, à Mozarthamès.

"Je t'ai donné ma force, un don, pour venger Neït. Pour t'aider. Tu a préféré le renier et chercher par tes propres moyens car pour toi je n'avais fait assez pour ta seconde mère. Soit." Elle secoua la tête de gauche à droite. "Mais c'était ton choix."

Elle claqua des mâchoires.

"C'était le choix des pirates, et j'aurais pu t'aider à les anéantir avec leur crabe et murène ridicules. Tu t'es éloigné de moi et a parjuré avec Avalon devant tous pourtant. Ton choix. Tu n'a juste pas pensé que était en train de confondre ta tristesse pour de la haine. Jusqu'à mêler les règles immuables de notre univers à mes intentions, et les actions des autres aux miennes."

Son ton sembla presque se briser. Sous ses écailles la frustration, la déception et la peine.
Beaucoup de fatigue, aussi.

"Les autres ont fait leur choix aussi, en saccageant les temples de Mido et Moiro. Tu n'es pas le seul maintenant la barrière. Vous brillez d'une détermination qui aurait pu me rendre fière... Mais votre force mentale elle a été réduite à néant dans le tourment de vos disputes."

Un vent s'éleva, qui tournoya autour du loup aux cheveux bleutés.

"Ton affrontement est vide de sens, tu n'a rien à exigé de moi comme moi de toi."

Et la bourrasque redoubla, glaciale, si forte qu'elle pu propulser Mozarthamès en-dehors du temple, au bord de la cascade. Dans le sillon de ce refus, du verglas était apparut, nappant le sol de l'humeur froide de la déesse désormais et apportant encore plus de lumière aux pierres précieuses.

"Tu n'es plus le bienvenu ici, remet une patte derrière la cascade, et tu gèlera. Vis aussi dans le noir comme ton comparse Avalon, pour t'être laissé aveuglé."

La menace était claire.
Et le monde resterait sombre désormais pour le loup parjure.

Elle avait entendu.

Ainsi, les dieux ne s’étaient pas totalement détournés d’eux. Cela calmerait sûrement les doutes des quelques fidèles restants. Mozarthamès aurait dû être effrayé par ce dragon, admiratif de tant de puissance… mais cela ne lui faisait rien, que du dégoût. La voir lui donner la nausée. Voilà qu’elle évoque Vivladi et Neït, des noms qui sont plus durs à entendre de sa bouche qu’il ne l’aurait cru, se contentant de serrer les crocs.

« — Un temps. J’ai voulu vous comprendre. Un temps je vous admiré. Mais vous avez détruit tout cela. Ce n’est en rien le faute des Raeders, que VOUS et vos frères avaient expédié sur une île. »

Les yeux verts du loup brillèrent de défi, alors qu’il dévoilait ses crocs, en écho à l’énervement de la divinité. Elle se trompait. Ce n’était plus de la tristesse maintenant, Mo avait fini par faire son deuil quand bien même le décès de ses parents fut injuste.

« — Vous ne vous seriez servi de moi que par pur intérêt, pour anéantir vos rivaux. Que sont les mortels à vos yeux Ao, si ce n’est que des outils ? Vous prétendez vouloir votre bien, mais c’est vos desseins que vous cherchez à assouvir, au détriment de nos vies. »

C’était on peut plus clair pour le loup aux cheveux bleus. Ils n’étaient que des outils, de simples machines pour les dieux. Une bourrasque vint alors expédier le loup à l’extérieur, alors qu’il se retrouvait dans l’eau glaciale. La Dragonne le menaçait. À défaut de le punir. Y avait-il encore un minimum de bon en elle ? Avait-il tort de ne voir que la part de ténèbres chez la Dragonne ?

« — Cette barrière, vous dieux, l’avez établi parce nous avons lutté contre votre pouvoir. C’est cela qui vous effraie n’est-ce pas ? » Le loup marqua une pause, faisant les cents-pas devant le temple. « Parce que si plus personne ne croit en vous, alors à quoi bon servirez-vous ? »

Plus à rien. L'existence même des dieux serait remis en question, car si plus personne ne croit en leurs paroles, quel est le but de leur existence ?

« — Ce ne sont que des remparts supplémentaires que vous érigez. Auriez-vous peur de voir ce que vous avez si durement bâti balayé par l’évolution des meutes ? D’autres viendront Ao, plus téméraires qu’Avalon ou moi, plus violents que Méluciole et Azzinoth. Vous ne serez jamais à l’abris. »

L’adulte serra les crocs, une soudaine tristesse étirant ses traits, tandis que les larmes se mélangeaient à son pelage humide. Parce qu’un temps il avait cru n la divinité, un temps il avait espéré la servir tout au long de sa vie, la rendre fière, tel un enfant auprès de sa mère. Parce qu’au final Ao était encore la seule chose qui la rattachait à Neït, à sa famille d’avant. La Dragonne était tout ce qui lui restait, pour son plus grand malheur.

« — Nous avions besoin de vous. J’avais besoin de vous. Mais vous nous avait tourné le dos. J‘ai cru en vous, comme Neït, non pas parce qu’elle était ma mère, mais parce qu’elle voyait le bon en vous. Avais-je trop espéré à mon tour ? » Le Lazulis secoua doucement sa tête. « Mes mères disaient que nous étions nés grâce à votre bénédiction. Vous m’avez créé Ao, transformez, alors pourquoi vous ne me détruisez pas ? Qu’est-ce qui vous empêche de finir le travail ? »

Qu'espérais-tu au fond de cette rencontre Mo' ? Pourquoi t'acharner autant, la Dragonne t'a menacé une fois, ne devrais-tu pas prendre garde à ses paroles ? Mais c'est que tu as toujours été têtue comme enfant, en cela tu ressembles tant à Neït...

Seule sa voix résonna. Brisée, cette fois.

"Des outils ? Vous êtes ma fierté, ma joie. Je désire vous voir brûler de passion et unis. Si beaux, lorsque vous repartez de mon temple avec la satisfaction d'avoir vaincu vos peurs."

Un silence qui s'étira.

"Vous étiez notre oeuvre, êtes devenus plus que cela." Elle reprit après un souffle, froid. "Avec vos choix. Vos vies. Tu as fait les tiens. Mais tu restes une vie que j'ai créer et que je ne désire pas détruire. Je ne te veux juste plus dans la mienne."

La cascade sembla à son tour, se glacer, elle cessa de couler.

"Je te le répète, mon glowstick était mon aide, c'était le don lorsque tu as eu besoin de moi. Pas assez à ton goût, et je l'accepte, mais je n'aurais pas pu faire plus. Peut-être une potion, comme Kiro, mais cela t'aurait-il apaisé ?" Le temps de reprendre sa respiration. "Elle méritait cet honneur, je l'ai soufflé à ton oreille, je le pense toujours. Mais ça, tu l'a très vite oublié."

Un autre vent souffla sur le visage aveugle du jeune loup, le faisant d'autant plus reculé de cette grotte à la température polaire. Elle n'ajouta que quelques mots dépités, épuisés.

"Va t'en."

Finalement, toi aussi tu avais été puni Mozarthamès.

La vue fut retirer au mâle à la tignasse bleu, qui déboussolé un temps, secoua plusieurs fois sa tête, serrant les crocs. Son esprit semblait lui aussi perdu sous le coup. Toutefois, n’étais-ce pas dans l’ordre légitime des choses ? Lui qui avait depuis bien longtemps bafoué l’honneur de la divinité ? Considérant les glowstick bleu comme un insulte ? Allant même ressentir que du dégoût à l’évocation du nom de la déesse. Pourtant… une part de lui considérait toujours la Dragonne comme un modèle, comme une référence, comme une mère, créatrice de son être. Cette part, bien enfouie sous le doute et la colère demeurait toutefois, c’était probablement pour cela que l’ancien disciple continuait de faire face à la louve bleu au lieu de partir.

« — La peur ne s’éteint jamais, Ao, la peur nous maintient en vie… puis nous consume. »

C’était en cela le réel fardeau de la vie, pas la mort, juste la peur. On avait beau tenter de vaincre es peurs, elles demeureraient toujours, plus forte encore qu’auparavant.

« — Je suis fatigué de tout cela, de cette colère en moi qui me ronge, de cette violence qui ne demande qu’à être utilisé… Je crois que j’ai besoin d’aide… mais la force me manque. » Le mâle sera les crocs. « Je n’arrive pas à oublier, quand je dors je revois toujours la même scène… Dans les moments de doute, la peur est là, l’obscurité me guette. »

L’avant du corps de Mozarthamès sembla s’affaisser, alors que la fatigue ressortait plus que jamais sur son visage, les cernes ne le quittant plus depuis fort longtemps maintenant.

« — Je n’y arrive plus Ao… c’est trop… »

Presque trois années maintenant, que la colère guidait ses actes, pourtant, il n’arrivait à pardonner. Dénué désormais de la vue, le fils de Neït, releva la tête, serrant les crocs tandis ses traits témoignaient d’un mélange de douleur et de profonde tristesse.

« — Je veux rentrer à la maison. »

Où étais-ce la maison, Mo' ? Aux côtés de ta soeur, que tu t'étais mise à dos afin de la protéger de ta colère ? De tes mères parties depuis bien longtemps dans un monde que tu n'étais censé connaître avant longtemps ? Auprès de cette déesse, que tu avais renié, rongé par la rancune et la douleur ? Au final, Ao était la dernière qui te restait, la seule personne qui te faisait encore douter sur la vie. Désormais, plus rien ne te retenait en ce monde, Serket-Beatriz aurait encore une longue vie, Queen développerait sa propre idéologie du monde, alors à quoi bon ?

Toute logique aurait dû dire à la déesse bleu de ne pas répondre. Cet être l'avait bafoué, insulté, confronté encore et encore ! Il était arrogant et ne représentait plus du tout ses valeurs. Elle qu'on disait froide, qu'on blâmait d'avoir infligé des malédictions prenant la vie sans remords. Qu'on accusait d'inaction. Qu'on rejetait.

Qu'on ne rejetait peut-être pas totalement.

La décision prise vacilla, s'ébranla quelque peu. Il subsista cependant encore trop de rancœur pour pleinement faire demi-tour. Mais un croc avait été taillé dans la glace recouvrant la grotte et la cascade. Suffisamment pour que de l'eau s'écoule. Pas totalement : assez pour ne pas que la sécheresse menace le fleuve chantant. Son lit serait moins haut, mais il continuerait de couler.

Et pour Mozarthamès...

"Ta maison sera celle de Yurai, au moins pour un temps. Elle t'apprendra le Pardon."  

La voix d'Ao résonna une dernière fois.

"Peut-être un jour pourra-tu revenir."

Il restait un de ses enfants, qui ne la rejetait peut-être pas totalement. Un infime espoir subsistait de renouer ce lien brisé ; pas tant que la déesse ne se serait calmé, et que le loup aurait grandit, mais il existait.

Cette fois, Mozathamès serait transporté, téléporté au-delà de la barrière loin de la meute et de la déesse qui l'avait vu naître. Peut-être assommé par ce transport, quand il reprendrais conscience, il serait à l'Église aux Corneilles.