Le long de l'Océan [Abysse]

Emilitia

Indéniablement, lorsqu'on longeait la côté le long de l'océan depuis la Lagune, il y avait de grande chance de se retrouver aux Côtes de Nacre. Emilitia n'appréciait pas plus cette plage que l'autre, d'autant plus qu'à l'horizon de celle-ci, on pouvait apercevoir l'île de Morne-oeil. Ça faisait des années qu'elle ne s'y était pas rendu, sur l'île de son  enfance, celle de sa mère, autant de temps que la louve noire n'avait pas vu de Raeders sans que ça ne lui manque, elle n'avait jamais été proche d'eux – Illidan ne comptait pas vraiment, bien plus proche du cadavre repêché qu'il était que de l'image d'un ancien Capitaine.
Emilitia ne savait jamais véritablement si cette petite nostalgie qui pointait dans son cœur à chaque fois qu'une pensée allait aux Raeders était dû aux origines de sa moitié louve ou si c'était parce qu'elle regrettait un peu sa mère, parfois. La demi démone n'était pas Raeders de toute façon et leurs deux mondes gravitaient trop loin l'un de l'autre pour pouvoir un jour se rencontrer. ;

La nuit commençait à tomber, les journées hivernale se faisant bien trop courtes, le crépuscule plongeant les terres dans ces désagréables températures trop basses. Malgré tout, qu'importe la saison, les Côtes de Nacre s'évertuait à conserver leur réputation, les dernières lueurs du soleil se reflétant sur la surface des coquillages pour offrir au monde ces couleurs qui valaient disait-on, le détour. Ciel étoilé à même la terre que la demi-démone n'aurait pu nécrosé, trop minéral, alors que les dernières lueurs du soir finirent par se laisser engloutir derrière l'horizon.
C'est dans un monde devenu sombre que Emilitia continua sa route, marchant sans but véritable, pour se réchauffer un peu alors que s'élevait au dessus la colonne blanche de sa respiration et qu'elle ébouriffa son épais pelage afin qu'il lui tienne un peu plus chaud.

Emilitia

Avec son masque, Emilitia n'avait jamais remarqué à quel point les étoiles d'un ciel nocturne dégagé pouvait attiré l'oeil. Elle s'arrêta un instant, museau levé vers le ciel pour les regarder, se laissant happer par la multitude de petits points si lointains qu'il en donneraient presque le vertige.
L'instant suivant, brisant la concentration de la contemplation, le bruits de pas précipités dans le sable qui firent pivoter ses oreilles et la tête. La louve noire n'eut pas le temps de discerner quoique ce soit qu'on lui rentra sans douceur dans l'arrière train, l'incitant à un petit bond en avant pour ne pas chuter.
Peut-être que la demi louve avait eu les pensées un peu trop orientées vers les Raeders précédemment, en voici un. Il n'aurait pas pu mentir sur son appartenance avec cette forte odeur de sel, d'algue et de poisson qui accompagnait toujours les membres de cette meute, une odeur que Emilitia n'avait cependant pas senti depuis la libération des maudits.

« Ce n'est rien... Monsieur Abysse ? »

Elle peina un instant à le reconnaître avec la pénombre mais surtout avec les traits affreusement vieilli du mâle. Emilitia ne le connaissait que très peu après tout, ne l'avait vu qu'enfant de loin et à son court retour sur l'île de Morne-oeil il y a maintenant plusieurs années. L'âge avait rattrapé l'ancien ami de sa mère, ainsi était le fléau des êtres mortels.

Emilitia

C'était drôle, ce sentiment d'affection que la louve noire pouvait envers les loups âgés, peut-être parce que le temps a dévoré esprit et corps, peut-être parce qu'ils touchent du bouts des griffes la déchéance que connaît un jour tout êtres vivants, parce qu'ils sont si proches de cette fin et de ce néant que son démon précipite. Abysse ne la reconnaît pas mais garde une lucidité suffisante mais conserve une lucidité suffisante qui lui permet de savoir qu'elle n'est pas la louve avec laquelle il la confond -avec légitimité, sa voix est trompeuse.

« Avec ma mère sans doute, Limule. »

S'il n'avait pas exprimé ouvertement sa confusion à leur première rencontre il y a maintenant de nombreuses années, Emilitia en était presque convaincue que déjà à cette époque, il l'avait déjà confondu avec leur ancienne Capitaine.

« C'est moi, sa fille, Emilitia. »

Est-ce que son âge avait pu conserver son souvenir ?

Emilitia

Elle le laissa lui tourner autour, amusée, prenant position assise alors que le mâle faisait son petit numéro. Elle releva un peu ses ailes alors que le vieux Raeders s'approchait pour venir la toucher du bout de la truffe, c'était un ancien ami de sa mère, il aurait été dommage que la nécrose ne l’abîme. Le contact de la truffe froide contre son pelage la chatouilla, lui faisant hérisser légèrement le poil dans un petit frisson un peu surpris alors qu'un petit rire s'échappa de sa gorge.

« J'ignore ce que vous espérez trouver, si vous aviez espoir de trouver quelques souvenirs mais ça fait longtemps maintenant. Je ne suis pas elle. »

Emilitia ne portait pas cette odeur de sel typique des Raeders, remplacée par celle de la cendre de sa nécrose. Il n'y avait pas tant de sable dans son pelage ni ce goût de l'air marin. Elle ne portait pas non plus de pelage blanc et son poil, moins sujet aux agression du littoral était plus doux, plus volumineux. Là où Limule avait été louve de l'Océan, Emilitia avait préféré la montagne et de sa mère, elle ne portait guère plus que la voix et la couleur des yeux.

Emilitia

Il semblait se réjouir, le vieux mâle, de retrouver sans doute un bout de souvenir lointain. La louve blanche qu'il avait connu, cela faisait maintenant si longtemps qu'elle avait disparue mais encore cet esprit fatigué pouvait s'en rappeler. De Limule, d'Emilitia également un petit peu. Sur le visage de la demi louve noir, un sourire coincé entre plusieurs expressions, peut-être un peu plus vers une sorte de mélancolie. Bientôt sans doute, les souvenirs de sa mère partiront avec ce vieux loup dans l'éternelle fin de toute choses.

« Elle n'était pas louve sereine sur sa dernière année. »

La seule que Emilitia avait pu connaître avec elle, pourtant enfant, c'était une chose qu'elle avait pu deviner. Elle était née pour répondre à la déchéance d'une âme, pour faire revenir un sourire sans y parvenir.
Les questions du vieux Raeders s'orientèrent maintenant sur elle alors que joyeux, il remua la queue.

« Oh ! J'ai bien quelques amis oui. » Assez peu, une seule véritable en réalité et une relation qui marchait sur le fil mais qui amusait sans doute un peu trop les deux partis pour être saine. « J'ai également retrouvé un oncle un peu lointain. » Elle ne précisa pas son identité. « Mais je suis reste solitaire. » Au final, aucune infidélité à la meute de sa mère bien que ça n'en était pas la motivation.

Emilitia

C'était amusant cette conversation, presque irréelle, celle d'un petit papy qui se réjouissait innocemment de la vie d'une connaissance plus jeune. Il y avait ce petit côté presque naïf et tout à fait charmant qu'il n'y avait pas eu avec Illidan. Abysse parlait enfant, famille et amis d'un ton si joyeux et paisible quand avec son oncle Emilitia discutait démon, rituels et corruption de l'âme. Etait-elle heureuse dans son quotidien ? Oh au moins il l'amusait beaucoup.

« Oh en ce moment j'occupe les plages de la Lagune, bien plus par nécessité pratique que réel choix, j'ai une préférence pour la montagne. Mais il y a quelques âmes dont je dois me faire propre qui pour le moment occupent les plages. »

Illidan en montagne rejoindrait bien vite la mort de laquelle il était revenue. D'autant plus que la petite tanière d'hiver d'Emilitia était un peu trop proche de la frontière Etelkru pour y laisser traîner un vieux fou aveugle et son actif petit rejeton.

« Mais et vous Monsieur Abysse ? Saurez vous retourner sur Morne-oeil ? »

Emilitia ne faisait pas dans la charité, n'importe quel autre petit vieux, peut-être même qu'elle l'aurait aidé à se perdre un peu plus mais celui-ci avait été si précieux pour sa mère.

Emilitia

Un large sourire s'afficha sur les babines de la demi démon au pelage sombre. Oh s'il savait le vieux mâle, bien que le nom d'Illidan n'aurait peut-être pas signification à son oreille. Combien de loups pour ce rappeler de ce capitaine que même sa mère avait bien trop peu connu alors même qu'il l'avait maudite ?

« Ohoh, ça c'est un secret. »

Légère malice dans la voix alors qu'elle se fait cachottière. Ce n'est rien Monsieur Abysse, vous qui êtes l'ami de ma mère, ne vous tracassez pas pour les ombres de ce monde, celles de l'Océan vous ont suffisamment hantées. Ce n'est pas de la compassion, plus du respect pour cette mère qui manquait. Il y avait aussi ce fait que Emilitia n'avait pas très envie de potentiellement voir débarquer des Raeders tout les quatre matins qui souhaiterait rencontrer un ancien capitaine déchu.

« Souhaitez vous que je vous oriente dans la bonne direction ? »

Sur un dernier instant qui sentait l'odeur d'une enfance lointaine s'étant terminée avec la chute d'une falaise.

Emilitia

Emilitia raccompagna alors le vieux loup sur la direction face à la silhouette noire de l'île d'enfance. Elle ne le suivra pas bien loin, suffisamment pour l'orienter dans la bonne direction, sur quelques pas dans la mer avant de le laisser repartir, seul, vers les eaux Raeders. La louve noire resta quelques instants à observer la silhouette s'éloigner petit à petit avant de disparaître dans la nuit. Dernier fragment d'une époque trop lointaine, c'était comme la silhouette blanche de cet oncle frère de sa mère si aimé et si haï à la fois par celle-ci qui s'était évaporée dans la nuit et qui n'avait été revu que pour mourir. Ce vieux loup, ce vieil ami qui n'était pas le sien, c'était un peu pareil. Emilitia avait cette intime conviction que c'était la dernière fois qu'elle le verrait, un dernier souvenir partagé lors d'un cours moment avant que les flots ne séparent deux mondes.
Les Raeders étaient au bord d'une abîme différente de la sienne, c'était pour cela qu'Emilitia n'en avait jamais été véritablement une. Demi-démon, elle retournait à ses ombres sœurs.