Last Call (ft. Zen)

Désiré observe sans le faire voir la façon dont son père se meut. Il reconnait là les signes de la vieillesse, ceux qu'il avait eu le loisir d'observer chez des Etelkrus trop fiers qui se refusaient à prendre la retraite. Sans doute son père faisait-il maintenant parti de ceux-là, préférant des visites régulières chez les Panseurs pour leurs doses régulières de plantes que de véritablement prendre soin d'eux.
Il ne serait pas de celui qui ferait changer d'avis le loup clair, il le savait bien. Alors, il ne fit aucune remarque, aucun commentaire.
Un jour, lui aussi serait trop vieux pour se porter lui-même, et à ce moment-là, il espérait simplement qu'il serait assez raisonnable pour simplement vivre heureux.

Et dans le discours du clanique, ce n'est pas de la vantardise que le Solitaire perçoit, mais un privilège que seul son statut de fils et d'ancien membre de la meute lui vaut.
Alors, il hoche sobrement la tête, avant de détacher un jarret de la carcasse, et de se retirer. Il ne prendrait que ce qui lui était nécessaire, et attendrait de rentrer pour le partager avec sa fiancée.
Et leurs petits à naître.
Il lui fallait bien amener le sujet.
« Je vais devoir penser à renforcer les nôtres, de réserves. Nous serons bientôt plus nombreux. »
Combien exactement, ça, il ne le savait pas.

Codage par Libella sur Graphiorum

Il y a un temps de flottement, où même s'il ne le montre pas, Désiré est dans l'appréhension de la réponse de son père. Son cœur bat à ses tempes et son regard est rivé sur le loup gris, prêt à déchiffrer le moindre signe, ne serait-ce qu'un infime spasme musculaire.
Mais rien ne vient.

Pas de tempête.
La réponse, qui n'est pas noir mais un nuancé de gris plus clair qu'à l'habitude, n'en est pas moins insatisfaisante.
Les larmes qui lui montent aux yeux, le solitaire préfère les ravaler.
Il doit bien se rendre à l'évidence : son père ne le comprendra plus jamais. Ne l'acceptera plus, non plus.
C'est une bataille qu'il accepte de perdre pour mieux gagner la guerre.
Alors, il se tient bien droit sur ses quatre membres, prêt à partir. Parlera toutefois avant de prendre le gigot en gueule.
Il avait besoin de mettre des mots sur ces maux.
Il s'étrangle dans ces sanglots qu'il refuse à échapper, peine à s'exprimer convenablement.
« J'y pense, à ces conséquences. C'est pour ça, que je garde toujours le sourire, que je me montre positif. Pour montrer l'exemple, pour ne pas créer la discorde. Mais je suis fatigué. Fatigué de faire des efforts que tu ne vois pas, ou que tu ne veux pas voir. »
Sa voix craque, comme lors de sa puberté, sous le coup de l'émotion.
« Je suis désolé que tu trouves ça brutal. Je pensais pourtant que c'était la meilleur façon de faire. Et je crois bien que je ne sais pas faire autrement. »
Sa décision est prise. Elle n'en reste pas moins difficile à formuler.
« Je ne ferai plus ce pas en avant. Maintenant, à toi de penser aux conséquences pour les autres, et de faire ce qui te semble le plus correct. »
La paraphrase est voulue.

Cette fois, il prendra son dû, et s'en ira.
Tournant le dos à son père sans méfiance.
Car malgré tout, il le resterai. Et serait aussi le grand-père de ses enfants.
Mais la balle était dans le camp de l'Etelkru, maintenant.

Codage par Libella sur Graphiorum

Désiré poursuit sa route, resserrant davantage ses crocs sur son butin comme il entend son père le suivre, s'efforçant encore de retenir des sanglots qu'il ne veut pas montrer.
Parce-qu'il ne veut pas se montrer faible, encore. Même si son père le connaît bien, ce côté émotif du loup jaune, pour l'avoir tant de foi consolé.
Et voilà qu'il demandait des explications plus clairs.
Non. Il exige.

Le solitaire se stoppe net et se retourne, maintenant face à l'etelkru, prêt à l'écouter. L'air déterminé, bien que les larmes mouillent maintenant ses joues.
Il ne peut plus les retenir.
Mais aussi, il ne veut plus les retenir.
Qu'il se montre sans façade à celui qui faisait mine de ne pas comprendre.
Et il l'écoutera sans broncher, toujours droit et le torse bombé, comme son père lui a appris à se montrer, jusqu'à poser le gigot et répondre à son tour, la voix plus forte qu'à l'habitude.
Du moins, il en avait l'intention. Il allait expliquer à son père que lui non plus, n'avait pas toujours raison. Que lui aussi, devrait apprendre à mettre de l'eau dans son vin : n'était-ce pas normal, de se voir informer des grandes étapes de la vie de son fils unique ? N'était-ce pas normal, que ce dernier ait encore envie d'être dans le partage, de voir ne serait-ce qu'une étincelle d'émotion dans le regard de son père, quand bien même ils ne partageaient plus le même mode de vie, la même meute ?
Jusqu'à la dernière phrase.
Celle qui finit de briser le cœur de Désiré.
On peut presque l'entendre éclater, exploser, avant de se répandre en dangereux morceaux sur le sol.
Heureusement, du cœur il en a encore, pour ceux qui sont toujours prêts à l'accepter : Kiro, Astrid, Sollos et ses autres enfants à naître.
Il n'y a pas que sa famille, d'ailleurs, mais ses amis, aussi ! Iris, Ibéris - tiens, encore un banni par les yeux aveugle des Etel !

Alors, les larmes coulant toujours, Désiré prendra cet ultime cadeau...
Non, en fait.
Il n'en voulait plus, de ce jarret.
S'il le prend en gueule, c'est pour la bazarder au vieux loup - et tant pis si ça lui tombe sur le coin du museau.
Et c'est en courant, la vue brouillée par les larmes, que Désiré s’enfuira.

Codage par Libella sur Graphiorum